Les GAFA effraient autant qu’ils fascinent. Google, Apple, Facebook et Amazon tiennent tête aux Etats et clament que les consommateurs ne peuvent pas se passer d’eux. Il n’y a pas plus de contre-pouvoirs à leur puissance que de limites à leur appétit. Un sujet de réflexion idéal pour Rob Hart, trentenaire new yorkais engagé en politique et auteur déjà d’une demi-douzaine de romans noirs. Au travers de « MotherCloud », il nous projette dans un avenir proche où un monstrueux conglomérat high-tech a étouffé la concurrence, tué les boutiques, vidé les villes… Les chômeurs n’ont d’autre choix qu’intégrer ses hangars de stockage et ses services de sécurité, reclus à vie sur un site où leur travail, leur sommeil, leurs loisirs sont scrutés par l’intelligence artificielle. Cette ville-usine auto-suffisante et climatisée, qui crache en permanence des nuées de drones, compose un impressionnant décor futuriste. L’auteur décrit pourtant une situation très actuelle. Aux Etats-Unis, des retraités en sont réduits à enchaîner les intérims chez Amazon pour survivre, nomadisant d’un entrepôt à un autre. Une réalité déprimante que Rob Hart mêle à une trame de thriller pour nous offrir une grille de lecture plus digeste. On s’attache au sort de Zinnia, femme d’action infiltrée dans le système pour une mission d’espionnage industriel. On s’identifie au questionnement de son compagnon Paxton, inventeur spolié par le monstre, tiraillé entre le besoin de s’intégrer et l’envie de se venger. On est captivé par le dialogue intérieur du troisième narrateur, Gibson, le père-fondateur du Cloud, tyran du soft power, mégalomane ayant érigé ses bonnes intentions en dogme. En passant d’un personnage à l’autre, du couple sympathique au dangereux gourou, le jeune romancier américain révèle différents aspects d’une machine totalitaire digne du « Meilleur des Mondes », de « Fahrenheit 451 » ou de « 1984 ». A mesure qu’il fait monter la tension vers une inévitable confrontation, sa charge gagne en consistance. Dans ce Gibson, il y a du Mark Zuckerberg, du Elon Musk et du Jeff Bezos, et ce n’est pas un compliment. Et maintenant qu’une adaptation au cinéma est en projet avec Ron Howard, on est curieux de voir ce qu’un réalisateur aussi purement hollywoodien peut en tirer.