Il est des hommes qui se perdront toujours
Rebecca Lighieri

POL
mars 2020
375 p.  21 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

La rage de vivre

Coup de cœur absolu de ce printemps, le nouveau roman de Rebecca Lighieri nous emmène dans une cité au nord de Marseille, entre les années 1980 et 2000. A travers un narrateur magnifique et brisé, on vit au rythme de la vie des minots de quartier qui grandissent entre la violence, la drogue, la pauvreté et le manque d’amour.

Karel, Hendricka et Mohand sont issus d’une union mixte entre un père belge et une mère kabyle. Ils habitent la cité Antonin Artaud, située entre un bidonville et le massif de l’Etoile, sous la coupe d’un père effrayant et d’une mère impuissante. Lorsqu’ils ont l’âge de fuir l’emprise parentale, ils trouvent refuge au « Passage 50 », un camp de gitans sédentarisés où ils traînent avec leurs copains Rudy, Shayenne et les autres. La communauté devient un peu leur seconde famille, une échappatoire à la terreur et à la folie familiale. Au rythme des tubes qui s’échappent des fenêtres et des autoradios tout au long de ces années, Karel raconte leur vie d’enfants battus, le martyre de son frère cadet handicapé, les envies de fuite de la belle Hendricka et la haine qu’ils vouent tous trois à leur géniteur. Pourtant, avec une énergie et une résilience exceptionnelles, chacun se construit une existence cahin-caha, à la mesure de ses forces. Les enfants privés d’amour sont comme des fleurs « à qui on [a] refusé tout épanouissement et toute floraison ». Néanmoins, Rebecca Lighieri ne s’appesantit jamais, elle suggère, laisse entrevoir la maltraitance par un mot ou une scène, sans entrer dans des détails sordides ou répétitifs, comme si elle-même repoussait la violence loin de ses personnages, avec la volonté de leur laisser une chance de s’en sortir, sans leur couper les ailes par un déterminisme fataliste. Cela donne ainsi un magnifique roman d’apprentissage aussi désespéré que lumineux, avec des personnages singuliers, hauts en couleur, attachants, réparés par un amour adolescent, une finale de football, une vocation soignante, un rêve de cinéma, et le désir de la normalité sans bruit ni fureur, même s’il faut pour cela s’inventer un nom et un passé pour échapper à la lignée des monstres. Voici la vie cabossée avec son lot de rage, de souffrance, de mort, mais la vie malgré tout. Magistral !

 

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