Il faut être gonflé pour bâtir un roman sur une histoire de rapt d’enfants. Les vrais sont toujours traumatisants et ne se terminent pas toujours bien. Adrian McKinty a osé, encouragé par son agent et parrainé par Don Winslow, et il a bien fait. Il est vrai que ce jeune écrivain nord-irlandais, qui vit aux Etats-Unis, a un passé de critique littéraire. Il a forcément lu autant de mauvais livres que de bons. Il a fait l’expérience du scabreux, du mauvais goût… chez les autres. Il sait donc jusqu’où lâcher la bride à sa propre imagination. Il sait aussi comment ne pas s’arrêter à une bonne idée initiale, et la retravailler. Celle de « La Chaîne » lui est venue lors d’un séjour au Mexique, pays où des gangs prospèrent sur les enlèvements contre rançon. Ce fond de réalité rend son scénario crédible, aussi fou soit-il. En le transposant dans une banlieue de la côte est des Etats-Unis, dans un milieu rassurant, supposé protégé, il l’a encore dramatisé. Avec un degré de raffinement ajouté à l’horrible chantage : la pauvre mère divorcée dont la fille adolescente a disparu doit, si elle veut la revoir, non seulement payer l’argent qu’on lui réclame, mais aussi kidnapper à son tour un autre enfant. Dont les parents devront faire de même. Et ainsi de suite… On est au-delà du suspense, dans l’urgence extrême. Les ultimatums s’enchaînent, le moindre écart est puni. À chaque instant, on se demande jusqu’où peut aller sous la menace cette femme aimante, dévouée, rationnelle. Sans doute très loin. Avoir une arme chargée à portée de main, infliger des souffrances à des gens aussi sympas que soi… tout cela s’apprend vite dès lors qu’on n’a pas le choix. Et le duo mère-fille de ce livre a de la ressource. Dans un style sec, nerveux, elliptique, relevé d’un humour noir très britannique, Adrian McKinty leur impose un rythme d’enfer sans perdre des yeux la logique des bourreaux, ses « Uber du kidnapping » comme il les appelle. Au passage, petite note morale qui fait réfléchir, il montre à quel point les réseaux sociaux facilitent la tâche des criminels quand leurs proies y étalent minute par minute leurs moindres habitudes. C’est l’unique message de cette belle mécanique dont on tourne les pages en retenant son souffle. A Hollywood, les studios Paramount ont flairé un bon coup et acquis les droits d’adaptation du livre contre un chèque à sept chiffres. C’est dire.