Deon Meyer a un besoin vital de mouvement. Pour se vider la tête, chercher l’inspiration ou changer de décor, le romancier du Cap aime enfourcher sa moto et partir explorer le bush sud-africain. Son écriture s’imprègne ensuite des sensations emmagasinées, vitesse, concentration, accumulation d’images… Ces dernières années, il a ainsi élevé son niveau d’exigence et renouvelé sa veine policière avec des histoires construites comme des courses contre le temps. Un même sentiment d’urgence se dégage de « 13 heures » (2010), « A la trace » (2012) et « Kobra » (2014). Trois romans racontés avec le souci de ne pas égarer le lecteur en chemin, de ne pas lui imposer une ligne de trop. Et puis, cela arrive parfois, la belle mécanique a connu un raté. « En vrille » (2016) manquait de rythme, de nerf, d’un peu de tout en fait. Après une parenthèse dystopique (« L’Année du Lion », 2017), voici que Meyer le biker remet les gaz sur le ruban asphalté du polar. Dans « La Proie », il renoue avec cette pulsation jubilatoire en menant, en Afrique du Sud et en Europe, deux récits simultanés où le temps s’égrène trop vite. Au Cap, les inspecteurs Benny Griessel et Vaughn Cupido ont un cadavre embarrassant sur les bras, un homme qui en savait trop, tombé d’un train sans témoins. Ils y voient la main des services de renseignement sud-africains, à la botte de leur président corrompu jusqu’à la moelle. D’autres éliminations sont à craindre. A Bordeaux, où il a refait sa vie, un ex-combattant de l’ANC – le mouvement de Mandela, devenu le parti au pouvoir – est relancé par un vieux camarade : le chef de l’Etat sud-africain, qu’ils haïssent, vient en visite officielle à Paris. Il doit l’abattre. Comme son ami romancier Mike Nicol, indigné par le système kleptocrate de l’ex-président Jacob Zuma (« L’Agence »), Deon Meyer montre un Etat qui se délabre, une police et des services secrets divisés entre les fonctionnaires corrompus et les autres. L’héritage a été dilapidé, la nation arc-en-ciel a viré au gris sale. Sur cet argument commun, chacune des deux intrigues a son tempo, sa tonalité, ses couleurs. Côté sud-africain, les deux inspecteurs pataugent dans le sang et la boue en rêvant de se poser avec leur dulcinée. Ils sont complices, bienveillants et drôles, touchants à force d’ignorer le syndrome post-traumatique qui leur interdit un peu de félicité. Côté français, le clandestin Tobela Mpayipheli se croyait devenu l’immigré Daniel Darrett, pensait toucher à la sérénité et à l’oubli en restaurant des meubles anciens et en explorant les vignobles. Il doute, sent revenir les réflexes anciens, les pulsions de mort. Les trois hommes apprennent à vivre avec leur passé. Entre enquête policière, espionnage et thriller politique, le mélange des genres additionne les vertus, nous baladant d’un village périgourdin aux canaux d’Amsterdam, d’un métro parisien oppressant à un train de luxe ouvert sur de grandioses paysages. Deon Meyer emporte le lecteur sur une puissante cylindrée qui le laisse ébouriffé.
La sortie de « La Proie » a été repoussée au 13 août 2020
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