L’héroïne de ce roman porte son nom à la perfection: Lola, diminutif du prénom Dolorès veut dire « douleur » en espagnol. Et la douleur, c’est le lot quotidien de la jeune adolescente. Chez elle, les disputes, faites de cris ou de silences cuisants, font vibrer les murs. Chez elle on ne parle pas. On hurle, en faisant comme si tout allait bien. Mais dans le cœur de Lola, la colère gronde. Aucun refuge pour cette adolescente que le divorce de ses parents ébranle à l’extrême. Alors elle reste seule, à l’abri des agressions extérieures, la musique à fond dans ses oreilles pour ne plus rien entendre. Un pied de nez à la caresse, un revers à l’amitié. Lola joue les durs à cuire, fait la fière, provoque. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Jusqu’au jour où elle implose et prend la fuite.
Il y a des auteurs qui ont un « style », une marque de fabrique, et qui excellent dans un thème bien précis. Antoine Dole, lui, s’essaye à tout. Et ça lui réussit. Ici, il se glisse dans la peau de Lola, et lui fait croiser le chemin d’une vieille dame déboussolée, isolée dans un appartement moisi, capharnaüm de souvenirs et de débris, qui sent le renfermé. Peu à peu, les deux âmes perdues s’appréhendent et leurs deux solitudes finissent par se confondre. Lola comprend que la vieille dame est malade, et même « folle ». Elle confond Lola avec une certaine Anna, parle des Allemands dont il faut se cacher, oublie ce qu’elle a dit la seconde d’avant… alors, pour lui faire oublier son malheur, la jeune fille lui invente une vie magique et mystérieuse. Elle rentre dans son jeu, maintient l’illusion, et replace de belles pièces manquantes dans son puzzle de souvenirs désormais factices.
Ne nous méprenons pas. Ce roman n’est pas destiné qu’aux adolescents. Chacun s’y retrouve dans cette appréhension nouvelle de la douceur, au cœur d’un huit-clos où le temps s’est brutalement arrêté. Recluse dans cet appartement, semblable à la prison de son esprit, Lola va prendre soin de la vieille dame, et pour la première fois, s’inquiéter pour quelqu’un d’autre qu’elle-même. L’auteur signe un roman remarquable et puissant sur la difficulté à aller vers les autres, mais aussi à accepter leur aide. Une fois encore, Antoine Dole dessine un portrait poétique et violent de sa génération. Il n’en finit pas d’ausculter cette société où l’aliénation et l’isolement fusionnent mais où un sentiment est à lui seul, capable de déplacer des montagnes : la tendresse.