« Si on m’avait dit un jour que j’allais écrire un livre sur les vaches […] je vous aurais ri au nez ». Voici ce que l’auteure indienne Shoba Narayan écrit dans le prologue de son roman. Pourtant cette histoire de retour au pays natal d’une mère de famille new-yorkaise d’origine indienne est drôle, instructive, bien écrite, en un mot passionnante.
Shoba et son mari sont nés dans le sud de l’Inde puis ont émigré aux Etats-Unis pendant vingt ans, où ils sont devenus des citoyens américains aisés et intégrés, parents de deux filles. Au mitan de leur vie, ils éprouvent le besoin d’un retour aux sources, le désir de faire connaître leur culture à leurs enfants et de se rapprocher de leurs parents vieillissants. Ils décident donc d’aller s’installer à Bangalore, mégalopole du sud surnommée la « Silicon Valley » indienne. Le jour de leur emménagement dans la résidence luxueuse d’un quartier cosmopolite, Shoba se trouve nez à nez avec une vache dans l’ascenseur, amenée là pour une pendaison de crémaillère en signe de bénédiction. Aussitôt Shoba souhaite aussi accomplir cette cérémonie et commencer sa nouvelle vie sous les meilleurs auspices en faisant les honneurs de son appartement à l’animal sacré. Puis, en bas de chez elle, matin et soir, elle assiste au rituel de la traite : une laitière nommée Sarala tire le lait d’une vache à destination des habitants du quartier. Intriguée par cette coutume ancestrale, Shoba, qui ne boit que du lait pasteurisé, se lie avec Sarala et commence à s’intéresser aux vaches et aux nombreuses vertus qu’on leur attribue : le lait cru, mais aussi l’urine et la bouse seraient sources de bienfaits, la médecine ayurvédique l’affirme, les mythes et l’histoire l’attestent et la religion hindoue vénère l’animal comme symbole de fertilité et d’abondance. Les vaches indiennes ne sont pas qu’un cliché, elles véhiculent une philosophie de vie. Le mélange de trivialité et de spiritualité est la porte d’entrée de la compréhension du pays. En bonne journaliste, Shoba mène l’enquête sur le terrain, consulte des médecins, des spécialistes, lit les textes sacrés et profanes et s’implique affectivement dans la vie de sa laitière qui lui demande de financer un animal.
Posséder sa propre vache ? Cette idée fait son chemin dans la tête de Shoba, qui part à la recherche du bovidé idéal. A travers des anecdotes savoureuses, on découvre une Inde tiraillée entre tradition et modernité ; castes, inégalités sociales, place des femmes, la culture dévoile ses contradictions. Le lecteur prend un immense plaisir à partager les aventures, les émotions et les réflexions de cette conteuse énergique pleine d’humour.