« Tu crois que nous allons tous mourir ? lui demanda-t-il encore. Evelina se gratta la jambe. – Un truc de ce genre. »
Nous sommes en Italie, dans quelques années (un futur proche). C’est devenu… la barbarie (nous dit diplomatiquement la 4° de couv) et Leonardo ne sait pas exactement comment ça s’est passé, pourquoi tout a glissé jusqu’à cet enfer dans lequel il évolue soudain. Lui, il était absent au monde, occupé à lécher ses plaies et n’a ni vu la situation se dégrader ni n’en a compris l’importance. Lui, c’était un homme des livres. Ecrivain d’importance (et comme c’est lui qui raconte, au début, il ne nous fait pas mesurer l’étendue de sa renommée) et prof d’université, il a été compromis dans une sordide histoire avec une étudiante (qui l’a brisée) et a vécu depuis en reclus, solitaire, dans son petit village natal. Les évènements dégénèrent et se bousculent au point qu’il se retrouve sur les routes, inadapté et chargé d’âmes, comme on dit, et c’est vraiment vraiment l’enfer…
Davide Longo signe ici un roman d’une excellence totale et envoûtante : non content d’être une déclinaison post-apocalyptique très réussie (et effrayante, une scène notamment est particulièrement difficile à lire…) (et puissante), ce livre contient des pépites de poésie, d’introspection très poussée, de projection sur la place de la littérature dans une vie, avec des petits accents stephenkingiens (j’ai adoré Adèle) et le tout est superbement écrit (je parle du sens, du fond) et magnifiquement traduit (de la vraie littérature, une belle langue, précise et ciselée). Oui vraiment, excellent, et un coup de coeur pour sa poésie et ses morceaux si purs qui m’ont crucifiée.
« Quand il avait connu Danielle, des années après Kate, Leonardo avait eu l’impression que toutes deux étaient entrées dans l’oeuvre de Bernhard à un moment de leur vie où elles cherchaient une raison de détester le monde entier. Mais elles étaient trop intelligentes pour haïr au hasard : il leur fallait une grille, un critère, afin qu’aucun objet haïssable ne leur échappe. Bernhard ne passait sur rien. Leonardo en son temps l’avait lu avec passion, mais en gardant la même distance de sécurité que pour observer l’énormité d’un maelström. Le cas des deux femmes était bien différent. Elles s’étaient jetées dans ce tourbillon et tournoyaient avec lui sans trêve. Il les avait observées plusieurs fois : elles partaient d’une réflexion anodine sur un journaliste, la couleur d’une moquette ou un plat au soja, et aboutissaient à un monologue en boucle contre la profession de journaliste, les sols moquettés et les aliments bio. »