Victor est un petit garçon (pas tout à fait) comme les autres, en cela qu’on en rencontre plein comme lui : éveillé, curieux, intelligent, un papa et deux mamans, une grande sœur, une maison à Bourg-en-Bresse (celle où il vit avec sa maman, libraire, et sa nouvelle amie, Pilar, peintre), un pied-à-terre parisien (la cagibi que loue son papa, photographe désargenté et enfant attardé) et des vacances sur la Côte, grâce à un appartement dans une résidence hôtelière dont son papa a hérité de sa propre sœur mais où il refuse catégoriquement d’aller. Victor est aussi un petit garçon plus sensible et plus attentif aux autres que la normale.
Dans un roman empreint de tendresse, Gilles Paris nous invite à suivre un été bien particulier de Victor où, entre une baronne un peu décalée et des jumeaux un peu particuliers, il va découvrir le pouvoir de l’amour, sous toutes ses formes : l’amour protéiforme mais inconditionnel d’un enfant pour ses parents (que ce soit le sien ou celui de sa sœur pour leur mère et leur père), l’amour d’un petit garçon pour une petite fille, l’amour « adulescent » de sa sœur et ses aventures estivales, l’amour inextinguible des parents pour leurs enfants. C’est ce dernier qui vient couronner ce livre, en point d’orgue, en apothéose finale. C’est cet amour qui transfigurera en quelque sorte et Victor et son père.
Entre temps, Victor aura donc ouvert son cœur en grand pour y accueillir tout ce qui va lui arriver pendant ces vacances qui resteront à jamais dans sa mémoire. Ce sont cette ouverture et cette curiosité qui permettent à Victor de recevoir, d’assimiler et de comprendre tout ce qui lui arrive cet été là.
Les lucioles sont par définition éphémères. Au-delà du symbole de la lumière qui éclaire un chemin, elles représentent également la fugacité de la vie mais aussi et surtout la très grande différence entre l’homme et l’enfant : s’il faut pouvoir conserver le plus longtemps possible en soi une trace de son âme d’enfant, le passage à la vie d’adulte implique un changement radical, un renoncement à la plus grande part de cette âme pour laisser la place à l’adulte, à sa façon de penser diamétralement opposée à celle d’un enfant, à sa manière d’être fondamentalement différente de celle d’un enfant. Dans le cas du père de Victor, un traumatisme a bloqué ce processus et cet été sera l’occasion pour ce celui-ci, avec l’aide de son fils, d’enfin réparer cette absence de renoncement et de retrouver sa vraie place, de quitter son costume de Peter Pan pour celui de père.
En parlant à travers la bouche d’un enfant, Gilles Paris s’ouvre facilement de nombreuses portes. Mais au-delà de ces facilités qu’il s’offre, Gilles Paris les exploite parfaitement, sans sombrer dans le mélodramatique pour nous offrir une sorte de fable sur le changement car aucun des protagonistes ne sortira indemne de cet été orageux : ni Victor ni son père, bien entendu, pas plus qu’Alicia, la grande sœur au cœur tout mou qui rêve du grand amour mais ne vit que des amourettes, la baronne qui fera en quelque sorte le deuil de ses enfants, la mère de Victor et Pilar…
Pour en revenir à l’infantilisation du style du livre, en dehors du langage propre aux enfants, cet âge doré est encore celui des pensées brutes, directes que les œillères de l’âge adulte, appelez cela les barrières de la morale si vous le souhaitez (une morale auto-assimilée par toute adolescent qui souhaite entrer dans le monde adulte), empêchent cruellement d’avoir. Il n’y a rien de plus beau que les pensées d’un enfant qui sautent d’idées en idées, d’association d’idées en association d’idées, sans notion de barrières ou de freins moraux. J’ai dit un jour à mon fils, alors qu’il avait entre 2 et 3 ans, que je « rêverai d’être dans sa tête parce qu’il s’y passe des trucs fantastiques ». Il a aujourd’hui 7 ans 1/2 et je le pense encore.