Eté 1963. Leïla, une petite fille de dix ans vient d’arriver en France. Originaire de Kabylie, avec sa mère et ses frères et soeurs, elle a rejoint Bilal, son père. Neuf ans qu’il travaille ici, à Billancourt. Ouvrier à l’usine Renault, il « monte » les voitures à la chaine. Neuf années que sa famille ne le voit qu’aux grandes vacances. Enfin les voilà tous réunis. Nouveau pays, nouvelle vie. Mais à quel prix?
Tous entassés dans une pièce, à dormir les uns contre les autres sur des matelas de fortune. La mère remplie de chagrin, n’en revient pas d’être là, si loin de son pays, l’Algérie. Elle se sent si nue et si vulnérable sans son voile (que son mari lui a demandé d’enlever pour se fondre dans la masse…), si désorientée face à une langue qu’elle ne comprend pas, si étrangère…
Même si Leïla est déçue de ce qu’elle voit, de ce qu’elle vit au quotidien, elle est pleine d’espoir en l’avenir. Elle va à l’école avec plaisir, elle lit des livres, le dictionnaire. Son rêve est de devenir médecin. Dès son arrivée en France, elle écrit un cahier sur lequel elle pose son regard et ses mots. C’est justement ce cahier qu’on lit. On y découvre les différents sentiments qui s’emparent de Leïla, ses déceptions, ses projets, son profond désir d’intégration, sa passion des mots (qu’elle invente parfois comme le joli Mlème : qui pour elle symbolise cette sensation étrange d’être toujours entre deux eaux, algérienne et française à la fois, un vague à l’âme), sa découverte du racisme…
Leïla est touchante. Malgré les difficultés qu’elle et sa famille rencontrent, elle va de l’avant. Même si son père lui met la pression : « Faut que tu sois meilleure que les autres (…) parce que tu ne seras jamais leur égale », elle suit son chemin, se fait une amie, améliore son français, s’initie à la culture de ce pays si différent du sien. Et quand elle voit le bidonville de Nanterre, la tristesse et la colère l’envahissent toute entière mais cela ne la décourage pas. Elle est confiante, Leïla.
Les illustrations de Ronan Badel parsème le texte avec justesse et délicatesse. Quant aux mots de Valentine Goby, ils sont en parfaite osmose avec le ressenti de Leïla. L’auteure parvient à transmettre au lecteur ce qu’éprouvent les personnages ; le déracinement d’une famille, la désillusion de la mère, l’abnégation du père et les espérances de Leïla. Cette fiction n’est absolument édulcorée. Tout est évoqué avec réalisme et à la hauteur d’une enfant de dix ans, petite immigrée algérienne.
À la fin de ce petit livre se trouve un cahier documentaire et pédagogique sur l’immigration algérienne en France (colonisation, guerre d’Algérie, trente glorieuses…) illustré par des photos et des cartes. Un « docu-fiction » très bien écrit et mis en image. À lire absolument (dès dix ans).
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