Billet valable pour les tomes 1 et 2 !
Tyler Cross est une série qui fera date dans le monde du polar. Dans la plus pure tradition « hardboiled », Tyler Cross est un vilain, un truand. Mais pas une grosse brute épaisse sans cerveau, plutôt tout le contraire, façon matou qui retombe toujours sur ses pattes après être tombé sur un os de taille pré-jurassique.
Dans le premier volet de ses aventures, Tyler Cross est engagé par un mafieux sur le retour, limite paraplégique mais avec toute sa tête, toute sa morgue et toute sa volonté de persévérer à la tête de la famille, pour donner une bonne leçon en deux temps à son neveu qu’il ne peut pas supporter : lui faire rater un achat de 20 paquets d’héroïne à la frontière mexicaine et le bousculer dans les limites que Tyler s’imposera à lui-même (autant vous dire qu’il n’a que très très peu de limites qu’elles soient morales ou physiques). L’interception de la came tournera au vinaigre, le neveu, les deux complices de Tyler Cross et l’ensemble des mexicains impliqués finissant troués de plusieurs balles et/ou brûlés avec leurs véhicules.
Tyler Cross échoue, au milieu du désert, un contrat de la famille mafieuse du neveu tragiquement décédé sur le dos, dans un patelin sur lequel la famille Pragg a la main mise : à l’exception du garage du village tenu par un vieux machin tout aigri et haineux envers la famille Pragg et dont la fille va épouser un des fils (outrage extrême), le père est à la tête d’une entreprise pétrolière (dont les terrains du garagiste jouxtant ceux des Pragg sont étrangement démunis), l’un des fils est le maire de la ville pendant que le second en est le banquier et le troisième shérif. Tyler Cross aidera le garagiste à mettre bon ordre dans la ville, c’est-à-dire en la détruisant à coup de dynamite. Dans un final époustouflant, Tyler Cross parviendra à revendre l’héroïne qu’il a récupérée, à faire se trucider entre eux son acheteur et la famille du neveu venue se faire vengeance elle-même, à sauver la fille du garagiste (après en avoir un petit peu profité tout de même) et à s’en tirer aussi miraculeusement qu’intelligemment.
Dans « Angola » (tome 2), Tyler Cross est engagé par un industriel pour qu’il le cambriole. Ce vol a pour objectif de soustraire une partie des économies du vieux pervers aux risques d’un divorce qui lui pend au nez. Tyler Cross fait équipe avec une pin-up vénale et un perceur de coffre. Le braquage tourne évidemment mal : le perceur de coffre cane et Tyler Cross se retrouve au pénitencier d’Angola officiellement pour quelques années et officieusement pour quelques jours ou semaine : le pénitencier est en fait l’antre d’une famille mafieuse qui a une dent et un contrat contre Tyler Cross.
Tyler Cross va donc devoir doublement survivre dans le pénitencier : éviter les coups des gardiens et ceux des membres de la mafia, tout en fomentant son évasion, opération hautement aléatoire qui n’a jusqu’à présent était réussie qu’une seule fois, et en préparant sa vengeance.
Tyler Cross est un dur, cela ne fait pas de doute, mais il est aussi bien plus que cela. Il est un dur intelligent, froid, calculateur, déterminé et aux ressources physiques et mentales efficaces. Rajoutez à cela une galerie de portraits de personnages tous moins glorieux les uns que les autres : l’innocence est rare dans l’univers sombre de Nury et Brüno même si une lumière existe toujours, quelle que soit sa puissance face aux ténèbres. D’avocats véreux en mafieux sans scrupules, d’entrepreneurs veules en femmes fatales, Nury et Brüno livrent une BD franchement réussie, vraiment plaisante et distrayante et bourrée d’humour (second degré, ce n’est pas donné à tout le monde, moi le premier).
Le dessin est sobre mais va droit au but : il n’en est que plus adapté au ton de la BD et à l’histoire elle-même. A noter aussi le style particulier des phylactères narratifs. Ainsi dans le tome 1, tout le passage où le serpent (celui de la couverture) développe un amour inconsidéré pour Tyler Cross dont il sent avec ce personnage froid une certaine communion d’esprit est particulièrement réussie et représentative. Ainsi toujours dans le tome 1, cet extrait également représentatif : « Tyler transporte 17 kilos de came d’une valeur d’un demi-million à la revente au détail et il a exactement 21 dollars et 80 cents en poche. Il note l’ironie de la chose et se met en marche ». Vous aurez deviné que tout cela est représentatif du sang froid de Tyler, un personnage à la « Luc la main froide », un vrai méchant et faux héros ou l’inverse, le doute est permis.