C’est probablement un des romans les plus déjantés du moment. Ce curieux « Fantaisie-sarabande » met en scène l’histoire caustique de l’émancipation de deux femmes que rien -à priori- ne relie : Angèle Guillométaz, romancière d’une quarantaine d’années mariée à un pianiste, et Annabelle Mansuy, jeune escort girl de luxe et étudiante en sciences-politiques.
Au début du roman, Angèle Guillométaz traverse une panne d’écriture et se retrouve en proie à toutes sortes de doutes et questionnements. Pour l’heure, elle transporte dans une lourde valise les restes de son époux, devenu trop agaçant à ses yeux, qu’elle a donc abattu et soigneusement découpé en morceaux. L’essentiel de son occupation à partir de là va consister à dissimuler le corps, inventer d’ingénieux alibis, brouiller les pistes pour ne pas éveiller les soupçons de Le Grontec, l’impresario de feu son mari. Elle doit aussi parvenir à semer le commissaire Césari. Ce flic en analyse lacanienne se méfie en effet de cette très belle et intelligente femme. De son côté, Annabelle Mansuy vit des aventures fort différentes, et ce depuis le début de sa courte vie. Car Annabelle a eu le malheur de naître dans un milieu d’affreux ploucs pauvrissimes et lepénistes, dont elle a su heureusement très tôt s’affranchir, en particulier grâce à la prostitution. Quand le livre commence, Annabelle est une courtisane richissime de réputation internationale, qui gère ses activités en brillante femme d’affaires, et s’apprête à soutenir son doctorat de sciences politiques à la Sorbonne.
Outre le fait que toutes deux ont réussi à se libérer de leurs chaînes, familiales ou conjugales, Annabelle et Angèle partageaient le même homme, puisqu’Annabelle était la maîtresse de Louis Guillométaz. Après sa disparition, elles vont se rencontrer et tomber follement amoureuses l’une de l’autre. Elles étaient prêtes à tout pour accéder à leur liberté, elles sont désormais bien décidées à la défendre. Et le commissaire Césari en perdra la raison.
C’est donc un livre particulièrement loufoque que signe aujourd’hui Héléna Marienské, comme toujours. On pourrait comparer cette romancière à Lydie Salvayre, pour sa jubilation évidente à écrire, ou à Emmanuelle Bayamack-Tam, pour le goût de la transgression. Marienské fait partie de ces romancières ultras-douées et ultra-érudites qui ont choisi d’empoigner la littérature française à bras le corps. En 2006 avec « Rhésus », son premier roman publié, elle racontait une révolution sexuelle dans une maison de retraite. Le livre fourmillait d’emprunts à des classiques, « La princesse de Clèves » ou « La recherche du temps perdu ». Deux ans plus tard sortait « Le Degré suprême de la tendresse », dont le point de départ était un fait divers curieux : un monsieur contraignait une dame à une fellation, laquelle lui tranchait le pénis avec ses dents. Marienské avait choisi de nous raconter cette histoire en pastichant toutes sortes d’écrivains, de La Fontaine à Christine Angot en passant par Perec.
Avec ce nouveau roman, bien plus littéraire qu’il n’y paraît au premier abord, Marienské n’a, il est vrai, eu recours ni à des emprunts ni à des pastiches. On retrouve pourtant le même rythme échevelé, le même talent de narration, le même humour, le sens de la farce et de l’outrance, et surtout une même thématique : la liberté des femmes.