La petite foule
Christine Angot

Editions 84
mars 2014
254 p.  7,20 €
ebook sans DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Angot, La Bruyère et le selfie

Christine Angot nous surprendra toujours. C’est ce que pense spontanément le lecteur qui ouvre son dernier livre, « La petite foule », étonnant recueil d’une centaine de textes courts, chacun décrivant un personnage. Voici donc le président de jury, le Parisien d’adoption, le mari de la milliardaire, mais aussi la retraitée du textile, toujours anonymes et traités de la même façon par l’auteur, comme autant d’archétypes. Angot les épingle avec un soin d’entomologiste, décortique, dépèce, croque, savoure. On avait chez elle repéré ce talent dans « Les désaxés », il y a des années, roman (un « vrai » roman, cette fois-là, sans le personnage Christine Angot dedans) qui mettait en lumière avec beaucoup de justesse quelques curiosités de la vie parisienne. Ici, plusieurs portraits font mouche et les ambiances décrites -un plateau de télé, un salon d’hôtel chic, un restaurant dans le quartier latin- semblent furieusement vraies. Et c’est probablement là qu’Angot est à son meilleur dans ce livre, par le regard aiguisé qu’elle pose sur le microcosme médiatico-littéraire.
A travers sa petite foule, Angot scrute avant tout les éléments de langage, les formules toutes faites, et débusque angoisses et non-dits derrière les mots de tout un chacun. Ainsi parvient-elle à identifier de nouveaux caractères façon La Bruyère, qu’elle cite en exergue.
Cela dit, s’il y a une raison majeure de lire ce livre, elle est ailleurs. Parce qu’ici, et contrairement à ce qu’on pourrait imaginer compte tenu de la forme du projet, Christine Angot renouvelle, encore et toujours, l’autofiction en tant que genre littéraire. Dans ce qui apparaît comme une suite de courts textes décrivant des êtres humains anonymes, l’auteur est toujours là, sautant d’une page à l’autre, apparaissant à différents âges de sa vie, petite fille, romancière, amante, se cachant derrière un personnage ou un autre, observant de ses yeux d’écrivain. Elle est ici, dans la salle de maquillage d’une chaîne de télévision, lorsque le grand intellectuel est aguiché par une animatrice. Elle est là, dans ce cocktail, qui regarde les uns et les autres rivaliser de vanité, ou dans ce restaurant, éberluée face à cet ami qui parle trop fort. Christine Angot poursuit donc, en théoricienne, son travail de recherche autour du texte et de l’écriture, inventant à elle seule de nouvelles facettes à ce genre si particulier dont elle reste une des représentantes les plus intéressantes.
Pourtant, l’exercice -louable, intelligent, étonnant tant cette foule est bigarrée- se révèle parfois anecdotique, tournant au procédé. Les textes défilent et certains, vraiment courts, effleurent trop légèrement une réalité qu’ils devraient révéler.

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