Marcher la tête haute, parler fort, avoir plein d’amis, affirmer sa puissance… Tel est le destin d’Ellis Spencer, petite fille de onze ans qui vit en pays de Naol, un univers conjugué au futur, là où le rêve est prohibé. Au programme : suppression des temps morts et du silence, au profit des activités cérébrales et physiques. On prône la performance, le dépassement de soi, l’héroïsme. Les enfants sont bruyants, presque intenables, et il est de bon ton de crier, de taper du pied ou de jeter son assiette lors du dîner… bref, d’être exécrable, mais performant, et surtout, sociable, car la solitude est mal vue. Ici, la liberté et le doute ont disparu, mais chacun semble se réjouir de son sort. Enfants comme adultes manifestent leur enthousiasme avec une exaltation frénétique et des hurlements épuisants. Mais en haut de sa tour, au soixante-quatorzième étage, Ellis Spencer est tout sauf hyperactive. La jeune fille de onze ans se différencie des autres par sa capacité à rêver toutes les nuits, à observer le monde qui l’entoure, à flâner et surtout, à lire, malgré l’interdiction formelle. Discrète, timide, songeuse, elle est la copie contraire de ses frères fanfarons et nerveux, l’exacte opposée des « enfants parfaits ». Objet d’inquiétude pour ses parents depuis sa naissance, Ellis est donc classée « enfant à problèmes ». Lorsqu’elle entre à l’école, la grande Académie du Succès, elle s’efforce tant bien que mal de faire comme les autres. Mais elle est loin de se douter qu’elle y rencontrera des enfants et des adultes qui lui ressemblent. Avec eux, elle va organiser la résistance, pour changer le cours des choses… envers et contre tout.
Affirmer sa différence, afficher ses idées, au risque d’être jugé voire méprisé : à Naol, les marginaux sont laissés de côté, placés sur la « liste noire » des enfants à ne surtout pas inviter. Et dans la grande Académie du Succès, qui ressemble en tous points à une cour de récréation contemporaine, les codes sont inchangés. Alors, pour être appréciée, Ellis imite autrui, mais en vain. Grâce à l’aide de Peter, son nouvel ami, l’étonnante héroïne va peu à peu comprendre que pour grandir et se connaître elle-même, il faut à tout prix qu’elle s’éloigne du système. Dans ce court texte d’anticipation –et premier roman en littérature jeunesse-, Justine Augier imagine un monde contrôlé à l’extrême, intimement apprécié de ses habitants, et induit une réflexion passionnante sur notre société actuelle: le rapport au temps et au divertissement, la présence écrasante du profit, la recherche de l’intérêt personnel… S’inspirant d’Aldous Huxley et de George Orwell, l’auteure parvient à véhiculer ce mélange bien particulier et paradoxal, de plaisir et d’effroi. En anticipant politiquement et socialement, elle prend le recul nécessaire pour dire toute l’importance d’être et de rester soi.