Jaguar
Hector Tobar

Traduit par Pierre Turland
Belfond
février 2014
382 p.  22 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

D’un enfer à l’autre

Que sait-on du Guatemala du début des années 90 ? Si peu de choses. La destinée de ce pays n’intéresse d’ailleurs pas grand monde. Heureusement des romanciers comme Héctor Tobar sont là pour nous apprendre ce qu’était la vie des Guatémaltèques à cette époque-là. La dictature militaire est omniprésente et mieux vaut se tenir sur ses gardes. Au moindre dérapage, à la moindre contestation, des milliers d’individus disparaissent à jamais. Car les Jaguars, terrifiant escadron de la mort, dressé pour tuer, peuvent apparaître à tout moment et régler votre sort.

Antonio, jeune enseignant paisible, un peu naïf, semble loin de ces préoccupations. Mais il tombe amoureux d’Elena, bien plus activiste que lui. En danger, ils préfèrent fuir à la campagne où Elena accouchera de leur petit garçon. Seront-ils en sécurité ?
Non, bien sûr, et Antonio devra s’exiler à Los Angeles. Il n’a ni argent, ni papier et se retrouve, seul, dans une métropole qui ne ressemble en rien à ce qu’on imagine de la Cité des Anges. Le Los Angeles d’Antonio est celui des SDF et des émigrés. Les journées sont longues, épuisantes jusqu’au jour où, par hasard, il croise le regard d’un Jaguar, celui-là même qui a assassiné sa famille. Il n’a plus qu’une idée en tête, lui, le pacifiste : se venger. Ce meurtrier s’appelle Longoria et il est loin d’imaginer qu’il est devenu une cible.
Quel roman ! Impossible de rester insensible à ces pages où régne une violence inouïe : violence au Guatemala, violence à Los Angeles, car Antonio quitte un enfer pour un autre, tout aussi sordide et dangereux. Héctor Tobar, journaliste récompensé par le prix Pulitzer, connaît son affaire : l’entraînement des Jaguars, leur refus de toute compassion, les scènes de meurtres sont d’un réalisme effrayant. Mais c’est sans doute la vie de ces sans-abris qui frappe en plein cœur. Ces hommes et ces femmes qui ont tout perdu et qui n’ont pas d’avenir. Et puis il y a Antonio, personnage admirable et complexe, que le drame a rendu offensif, seul remède à la dépression.
Après le superbe « Printemps barbare », où il était déjà question de l’immigration à Los Angeles, « Jaguar » prouve qu’Héctor Tobar est un romancier sur lequel il faudra compter. Il est, décidément, un merveilleux conteur et un précieux témoin de la part sombre de la société américaine. 

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