Le point commun entre la peintre surréaliste Leonor Fini, le metteur en scène Jorge Lavelli, la chanteuse de tango Haydée Alba, le bandonéoniste et compositeur Astor Piazzolla et les écrivains Arnaldo Calveyra et Alberto Manguel ? Ces Argentins ont tous vécu à Paris, une ou plusieurs années. Cependant, le vrai fil rouge de « Mes Argentins de Paris », livre inclassable composé de textes, d’entretiens (notamment avec l’actrice Marilù Marini) et de photos, c’est son auteur lui-même : René de Ceccatty. Être protéiforme dont trois grandes amitiés argentines expliquent la genèse de ce livre : avec l’écrivain et académicien Hector Bianciotti, Argentin d’origine italienne débarqué en Europe à l’âge de 25 ans, la poétesse Silvia Baron Supervielle et le metteur en scène Alfredo Arias, directeur du centre d’art dramatique d’Aubervilliers.
Il faut donc aborder « Mes Argentins de Paris » comme un préambule aguerri à la culture argentine apatride des 40 dernières années du XXe siècle, écrite par un observateur cultivé et fin connaisseur. René de Ceccatty offre moult détails sur la vie de ces artistes venus se réfugier en France, pour y trouver une liberté qui ne leur était plus acquise dans leur pays d’origine, mais également attirés par l’effervescence de la création qui imprégnait alors la ville lumière. C’est aussi un portrait en creux de Ceccatty. Cet auteur que l’on savait déjà brillant, – il est aussi dramaturge, traducteur de l’italien et du japonais –, fin lettré – il est le biographe de Pier Paolo Pasolini, Maria Callas, Alberto Moravia –, démontre une fois encore l’étendue de son érudition et l’éclectisme de ses relations.
A travers ces portraits, on le suit dans ses années d’apprentissage puis d’écrivain. Quand il rencontre Hector Biancotti en 1982, René de Ceccatty est lecteur chez Denoël. Vingt ans les séparent. Le monde est petit : Hector Biancotti, écrivain et réalisateur, fut aussi responsable de la littérature italienne et hispanique chez Gallimard… maison mère de Denoël. Il devient alors l’éditeur de René de Ceccatty… qui deviendra à son tour l’un de ses biographes.
Deux ans plus tôt, il avait déjà fait la connaissance d’Alfredo Arias, par l’entremise de l’acteur Facundo Bo qui jouait dans ses spectacles. Le livre, qui se lit comme un récit de souvenirs, offre mille anecdotes… où l’on apprend que la troupe d’Alfredo Arias, TSE, fut accueillie et protégée, lors de leur arrivée en France, par le mannequin argentin Cecilia Sanchez Cirez… mère d’Inès de la Fressange ! En 1992, Alfredo Arias monte « Mortadela, une rêverie autobiographique « , première collaboration entre l’Argentin et le Français, pour laquelle ils obtiennent le Molière du meilleur spectacle musical.
La dernière à entrer dans le cercle amical de René de Ceccaty est Silvia Baron Supervielle dont il étudie la poésie pour des revues où il est critique littéraire.
Mais ces Argentins ne sont pas que des artistes, ils sont aussi des exilés. Comme le raconte René de Ceccatty, la première d’ »Eva Peron » en 1969, mise en scène au théâtre de l’Epée à Paris par Alfredo Arias, fut victime d’un attentat des militaires de la junte, infiltrés dans la salle. Dans les années 70 en Argentine, le pouvoir enlève des milliers d’hommes et de femmes, tue et torture en toute impunité. Ce n’est pas sans conséquence sur la création argentine ni sur la mentalité des artistes venus s’établir à Paris. Une des grandes questions qui préoccupent René de Ceccatty, c’est pourquoi la capitale française ? New-York est souvent envisagée, Rome, Naples, Milan, Londres sont délaissées au profit de Paris. Ils sont nombreux à posséder et dominer la langue française au point d’écrire directement en français. Dans cet essai personnel, à l’opposé d’un ouvrage historique, René de Ceccatty fait voyager le lecteur dans des époques révolues, mais guère lointaines, et montre l’apport original et riche des Argentins au théâtre, à la littérature, à la peinture, au cinéma français. Un tribut méconnu et fascinant.