Le « fil » de la filiation existerait-il vraiment? De génération en génération, il glisserait d’une personne à une autre, insidieusement, sournoisement, imposant parfois un destin implacable. Les membres d’une même famille seraient ainsi inconsciemment liés fermement ensemble et condamnés à suivre un schéma pré-établie, une sorte de ligne de conduite imposée par son ascendance. Nous serions « captifs » de notre histoire familiale. En entrant dans l’engrenage, il semblerait que nous perpétuons un système que nous transmettons à notre tour à nos descendants. C’est ce que Jonathan Coe a voulu mettre en évidence dans ce roman ; l’enchaînement tragique de faits qui se répétent par- delà les époques.
Suite au décès de sa tante Rosamond – qui n’a pas eu d’enfant – , Gill organise les obsèques. Mort naturelle ou suicide, le doute se fait jour assez rapidement : la vieille dame semble avoir « mis en scène » son départ. Un électrophone et un magnétophone trônent près d’elle. Elle écoutait son disque-fétiche, Les chants d’auvergne de Joseph Canteloube, avec son célèbre Bailero.
Plus tard, en triant ses affaires, Gill tombe sur une lettre accompagnée de quatre cassettes audio. Rosamond lui demande de retrouver Imogen et de les lui confier. Gill se souvient vaguement d’une jeune fille aveugle portant ce prénom, entraperçue des années plus tôt. Malheureusement, ses recherches sont vaines. Aucune trace d’Imogen. Gill entreprend donc d’écouter les cassettes avec ses deux filles Elizabeth et Catharine.
La voix de Rosamond résonne, tour à tour triste, nostalgique, ironique, tendre, gaie. La tante de Gill raconte son histoire et celle de trois femmes qui ont traversé son existence : Beatrix la mère – sa cousine préférée – , Théa la fille et Imogen la petite fille. Trois générations de femmes, des mères et des filles.
Le fil se déroule.
En s’appuyant sur vingt photographies qu’elle a sélectionnées avec attention, Rosamond passe en revue les moments fatidiques liés à elles. Nous parcourons ainsi un demi-siècle de la vie de ces femmes, chronologiquement.
La vieille dame commence par décrire la photographie devant elle, puis sort du cadre, élargit sa vision, ses souvenirs. Le cliché fixe un instant, il est éphémère. Rosamond va plus loin, sur le chemin de l’histoire des personnes figurant sur la photo : elle nous parle des relations mère-fille, de leur violence, des comportements des unes et des autres, de l’amour aussi, de l’attachement, des contradictions, des moments de plénitude, de l’Histoire en marche, de l’homosexualité féminine, de la place de la femme et de l’homme dans la société, des blessures d’enfance, des mariages râtés, des abandons, des ruptures, de l’indifférence, du courage de ces femmes et de leurs faiblesses…
Un roman brillant et émouvant. L’ écho de la voix de Rosamond continue de résonner en nous une fois le livre refermé. Des images aussi : une caravane, un chien qui s’échappe, une remise de diplôme, un lac en auvergne, une cabine de plage, une nuit de Noël… Et puis, il y a cette tension narrative liée au mystère qui entoure Imogen : Où est-elle aujourd’hui ? Qu’est-elle devenue ? A-t-elle suivie le chemin de sa mère et de sa grand-mère ? Et en fond sonore, le bailero…
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