Qu’est-ce qui fait le pouvoir des manipulateurs pervers ? Quels sont les secrets des escrocs ? Ou bien, faut-il plutôt se demander ce qui peut pousser toute une famille, une douzaine de personnes, des aristocrates, puissants, intégrés, entourés, à abandonner tout esprit critique pour basculer complètement sous la coupe d’un mythomane ?
Ecrit à quatre mains par le couple formée par Ghislaine de Védrines et Jean Marchand, ce livre nous présente l’historique de l’affaire des « reclus de Monflanquin », une histoire affolante, qui va bien au-delà des récits habituels faisant intervenir de charismatiques escrocs ou d’étonnants caméléons surdoués, tous animés d’intentions crapuleuses. Car le Thierry Tilly qui nous est présenté dans ce livre n’a rien d’attirant et ne semble pas très intelligent !
C’est un petit homme qui ressemble physiquement à un personnage de Sempé et dont le discours, mélange de délire narcissique et de mythomanie grossière ne devrait tromper personne. Alors comment un tel individu a-t-il pu convaincre toutes ses personnes de lui remettre leur fortune, leurs biens, leurs salaires, leurs carrières, leur avenir et même, leurs vies, puisqu’il avait réussi à les persuader que celles-ci étaient compromises ?
Qu’est-ce qui est diabolique finalement ? Ce malfrat de pacotille, pitoyable, qui aurait tout de même détourné près de quatre millions d’euros ? Le système qu’il a mis en place pour parvenir à ses fins ? Ou bien les processus psychologiques sur lesquels il est possible de s’appuyer pour réduire en esclavage une personne au départ parfaitement saine d’esprit ? En effet, Jean Marchand évoque régulièrement le mode opératoire utilisé par les sectes et à n’en pas douter il y a là une forme d’hypnose, d’engourdissement mental.
Il faut saluer le courage de Madame de Védrines qui avoue avoir fait entrer le loup dans la bergerie, nous relate en détail les événements et ne nous cache rien de son aveuglement et de chacun de ses actes commis dans une sorte de torpeur. A travers son récit, nous comprenons que son esprit était coupé en deux, une partie complètement asservie à celui qui était devenu un gourou, obéissant automatiquement et mécaniquement, sans plus chercher à comprendre ce qui se passait, et une autre partie, tue, enfouie, qui gardait toute sa raison, conservant étrangement intact l’amour qu’elle portait à son époux, dont Tilly faisait pourtant un ennemi et même un tueur ! Elle laisse entendre qu’elle connaissait la vérité sans se résoudre à s’y soumettre…
Nous comprenons le soulagement final de la famille, quand elle est enfin « libérée », allégée d’un terrible poids à partir du moment où chacun a accepté d’admettre et de reconnaître sa situation de victime.
Ce livre a une valeur testimoniale indiscutable. Hélas l’analyse psychologique ne me paraît pas assez poussée. Ce couple, qui a réussi à s’en sortir et à récupérer tout son amour intact après dix ans de séparation et un tel séisme a fait vœu de partager son expérience afin d’aider tous ceux qui pourraient se retrouver un jour dans une situation similaire. Il est regrettable toutefois qu’ils ne se soient pas associés pour cela à de véritables spécialistes des phénomènes d’endoctrinement afin de mieux les décrypter et d’offrir aux lecteurs une explication, un éclairage savant sans lesquels il est difficile de ne pas rester sur sa faim.
Car, même si cette allégation peut choquer, ne faut-il pas tout de même que le manipulateur donne quelque chose en retour pour asseoir son autorité sur ses victimes, pour que cela puisse fonctionner aussi longtemps et aller aussi loin ? Solitude psychologique, désir de valorisation personnelle, besoin de prise en charge, de maternage ? Il est certain que nos universitaires ont encore bien du travail pour lever un pan du voile sur nos comportements les plus étranges et répondre à ces questions. Le livre hélas, ne le fait pas.