Lorsque paraissait Identification des schémas il y a dix ans, ce roman était plus proche de la science-fiction qu’aujourd’hui : l’auteur imaginait des technologies avancées qui non seulement intervenaient dans l’imaginaire romanesque, mais dépassaient aussi le champ des possibles. Aujourd’hui, le lecteur identifie un monde pluriel et infini dont il connaît les codes et le langage.
Cayce Pollard est une jeune américaine de trente ans. Célibataire New-Yorkaise, elle est conseillère en design, plus familièrement appelée « chasseuse de look ». Elle travaille en free-lance pour des compagnies de renommée internationale qui la paient pour traquer l’air du temps, le saisir et l’instiller dans leurs logos et leurs publicités, grâce à sa connaissance intuitive de ce qui est « cool ». C’est justement une de ces missions confidentielles qui l’amène à Londres, où elle doit donner son aval au nouveau logo d’une marque de sport. Imbattable pour identifier les tendances, Cayce a paradoxalement la phobie des marques et des symboles qui les représentent. A ces derniers, qui représentent un assujettissement à la pensée unique et à la consommation de masse, elle préfère de loin l’épurement et la neutralité.
Parallèlement à son activité, Cayce se passionne pour une rumeur créée sur Internet par la diffusion de courtes séquences filmiques de source inconnue, que des fétichistes du monde entier, les « filmeux », suivent comme elle sur le web, où s’échafaudent les théories les plus folles sur la genèse, le but et l’identité du créateur de ces plans distillés de manière anonyme et aléatoire. Cette histoire mystérieuse parvient aux oreilles de son employeur du moment qui la charge d’en découvrir les arcanes, voyant déjà dans cette œuvre avant-gardiste indépendante le support éventuel d’une diffusion commerciale, et un moyen lucratif à grande échelle. Il donne à Cayce carte blanche pour cette enquête, qui la mène de l’Angleterre à la Russie, en passant par le Japon. Elle reçoit l’aide d’internautes passionnés, croise la route de collectionneurs obscurs, d’hommes de main de la mafia russe et d’artistes geeks. Mais elle se rend vite compte qu’elle n’est pas la seule à être intéressée par cette œuvre, et se voit doublée dans ses recherches, espionnée, agressée, et ce qui l’empêche de sombrer dans la paranoïa, c’est l’humanité de cette création fascinante, qui prend chair à mesure qu’elle s’en approche, un tourbillon technologique qui rassemble les moments funestes de l’histoire du XXème siècle, des millions de tragédies individuelles mises bout à bout qui constituent un long métrage dans lequel elle aussi a son rôle.
Identification des schémas navigue entre les limites du polar et de la science-fiction, mais au-delà de la question du genre, ce roman décrit un monde globalisé, de plus en plus réduit par ses modes de fonctionnements, mais dont l’uniformisation est contrée par les désirs et les pulsions des individus. William Gibson interroge le sens de l’œuvre d’art à l’heure de la mondialisation, ultime instrument capable de bouleverser les codes d’une société que certains magnats avides ont l’ambition de diriger.