Sous sa « chôôôlie » plume, Jean-Jacques Schuhl nous apprend ou nous rappelle qu’ »Obsession » c’est à la fois un parfum sulfureux des années 80, un film noir avec Barbara Stanwick, un poème des « Fleurs du mal » de Baudelaire et l’une des nouvelles qui (avec un s) donne son titre à ce recueil « trashic » constitué de textes brefs que l’on pourrait qualifier de courts-métrages littéraires.
Les obsessions qui traversent cet élégant cabinet de curiosités sont celles-là mêmes qui constituent les piliers de l’œuvre de Schuhl considérée comme « culte » : une jet-set cosmopolite parfois décatie, des fantômes en tous genres, le chic quand il est désespéré « totchic, chic à mort », un humour élégant « pâle, blond, vaporeux », des performances sexuelles en miroirs ou en reflets, un fétichisme des pieds « l’ondulation de la voûte plantaire sur un escarpin ».
Dans ces onze histoires d’ombres et de lumières où l’inquiétude se mêle au féérique, l’auteur du mythique collage « Rose poussière » et du subtil Goncourt « Ingrid Caven » nous livre ses secrets de fabrication. Cet alchimiste des mots et des images « fictionnalise » c’est-à-dire transforme une base de choses vécues en fantaisies rêvées. Il faut reconnaître que le réel de Schuhl est très éloigné de la réalité du commun des mortels. Chez lui le mot « rêve » compte triple tant l’onirisme fait partie de son quotidien d’esthète qui se nourrit le plus généralement de la compagnie de spectres de luxe. Avec le talent qui est le sien du « raccord un rien désaccordé », il compare sa technique d’auteur à de la micro-chirurgie. Nous imaginons ce Frankenstein de l’autofiction à l’œuvre. « Ma table de travail évoque une table de dissection : ciseaux, agrafeuses, cutters, roller Pilot Tecpoint V5, sa recharge effilée comme une seringue ». Puis vient pour lui l’étape du montage comme au cinéma qu’il aime tant et auquel il rend hommage en célébrant quelques metteurs en scène qu’il affectionne: Jean Eustache, Jean-Luc Godard, Jim Jarmusch.
Jean-Jacques Schuhl nous révèle que ses textes aux effluves rares et magnétiques s’écrivent entièrement à la main « Tutto fatto a mano », comme « on coupe une robe » ainsi que l’exprimait Proust. Cette métaphore nous semble d’ailleurs être beaucoup plus juste que celle de la chirurgie. Car l’auteur d’ »Obsessions »sait tailler ses phrases comme de la belle étoffe. En haut couturier des mots, il nous brode de bien belles histoires qui ont une sacrée allure et beaucoup de mouvement. Comme la robe fourreau noire qu’Yves Saint Laurent créa et coupa à même la peau nue de la divine compagne de l’auteur, la chanteuse et comédienne Ingrid Caven. Ce livre n’est pas un livre, c’est bien plus qu’un livre, c’est un splendide flacon rempli d’images, de sons, de couleurs, d’atmosphères. Une certaine idée de la grâce.