Par où commencer ?
Peut-être en disant tout simplement le choc que cette lecture a été pour moi.
De ceux, rares, produits par un livre précieux qui vous marque durablement de son empreinte.
C’est sa couverture qui m’a d’abord interpellée : une jeune femme à la chevelure luxuriante, au regard direct nous invite sans détour à écouter son histoire, celle d’une personnalité qui s’est construite entre deux figures dont on n’aurait jamais imaginé qu’il fût possible de les voir associer : Khomeiny et Sade. La couverture promet beaucoup : les pages surpassent toute attente.
Ce récit résolument autobiographique s’ouvre sur la première provocation d’une petite fille de 6 ans étonnamment précoce. En 1983, au coeur de Téhéran, alors que le Shah a été renversé et que les « barbus » sont désormais au pouvoir, cette petite fille traverse la cour de récréation de son école entièrement nue. Il ne s’agit pas là d’une simple espièglerie, mais d’un pied de nez fait à tous ceux qui veulent la contraindre à cacher son corps sous un voile étouffant. Car elle ne supporte pas ce monde devenu uniformément gris et noir où les femmes sont réduites à des corps coupables qu’il faut cacher. Elle ne comprend pas en quoi son corps d’enfant peut représenter un danger. C’est épidermique, c’est instinctif et c’est son premier cri de révolte.
Dès lors, jamais Abnousse ne se taira, jamais elle n’acceptera.
Et la nudité deviendra le mode d’expression de sa révolte, comme elle l’a été et continue de l’être pour d’autres femmes, de cette jeune Egyptienne qui choisit de s’exhiber sur Facebook vêtue de simples bas aux Femen bien connues.
Plus aucune minute de son existence ne s’écoulera qui ne soit dédiée à ce combat pour la liberté des femmes.
Agée de 8 ans, elle gagne Paris avec ses parents, croyant ainsi définitivement échapper à l’emprise des « barbus » et de celles qu’elle nomme les « corbeaux ». Las, quelle ne sera pas sa stupeur de découvrir qu’au coeur de cette république laïque dont elle a immédiatement appris à chérir les valeurs des femmes sont capables de choisir le voile, pendant que d’autres, ailleurs, meurent de devoir le porter !
Alors elle va affûter ses armes. Et ses armes, désormais, ce sont les mots. Ceux qu’elle découvre avec les grands écrivains français, ceux qui visent à pulvériser toute forme de censure, d’exclusion, de fanatisme, d’oppression.
Parmi ces écrivains, il en est un qu’elle place au-dessus de tous les autres, écrivain sulfureux s’il en est, écrivain qu’aucun régime ne put jamais soumettre: le marquis de Sade. Et là encore, il ne s’agit pas d’une simple provocation de sa part. Il faut voir comme elle en parle ! Oui, c’est pénible à lire, intolérable, même. Mais cet homme-là ne s’est jamais autorisé la moindre censure, et sa cruelle imagination fut sa façon de dire à tous ceux qui l’emprisonnèrent tour à tour : entre vos murs, ma liberté reste entière et je me ris de vos pudeurs et de vos préjugés.
Rire. Abnousse a compris que c’était l’arme ultime. Elle le reprend à son compte et nous parle d’expériences graves et tragiques avec des formules qui dégonflent instantanément tous les bouffis d’orgueil, des barbus aux trotskistes qu’elle trouve également sur son chemin, qui prétendent nier aux femmes le droit d’exister.
Je ne doute pas que certains trouveront sa parole trop libre, trop radicale, trop crue, trop tout.
Et pourtant. Des femmes mises sous voile à celles que l’on accuse d’être responsables du viol dont elles ont été victimes ; des femmes qui, à travail égal, continuent d’être moins payées que les hommes à celles qui se font conspuer parce qu’elles ont l’audace de porter une robe lorsqu’elles s’expriment au sein de l’Hémicycle parlementaire; des femmes à qui l’on dénie le droit de choisir de porter ou non une grossesse à son terme à ces jeunes lycéennes nigérianes enlevées pour être vendues comme de vulgaires marchandises, il reste, ici comme ailleurs, un long chemin à parcourir pour éradiquer toutes les formes de violence qui leur sont faites, et leur permettre – nous permettre – simplement d’être.
Alors oui, j’applaudis des deux mains à cette parole courageuse et intelligente, drôle parfois et mordante souvent, qui hisse la liberté et la tolérance au rang de valeurs suprêmes !
Et je me dis qu’à l’heure où des responsables politiques prétendent s’émouvoir de l’existence d’un livre où les personnages sont «Tous à poil», le geste de la petite Abnousse reste d’une terrible actualité.