C’est sur une scène aussi étrange que violente que débute « Un bon fils ». Pascal Bruckner petit garçon fait sa prière près de son lit et demande à Dieu humblement, dévotement, solennellement, de provoquer la mort de son père. Qu’importe l’accident, pourvu que son géniteur se fasse la malle et quitte le monde des vivants.
La supplique enfantine – non exaucée – interroge et pique le lecteur. L’intéresse, le titille. Lui donne envie de continuer ce récit autobiographique. C’est peut être ce premier tableau, cette promesse trop belle faite par l’auteur, qui rend l’ouvrage décevant. On s’attend à un roman cruel, délicieusement ambigu, en tension permanente. On doit se contenter de quelques anecdotes nombrilistes d’un jeune intellectuel qui cherche sa voie et tente d’échapper à l’influence de son père. Pas grande chose à se mettre sous la dent. Si le récit de ses jeunes années en Suisse, patrie qui sauve l’auteur d’une enfance aux côtés du paternel, est assez savoureux, la période estudiantine et son amitié avec Finkielkraut nous font gémir d’ennui. La relation père-fils, quant à elle, se résume à une accumulation d’historiettes reliées entre elles assez artificiellement, souvent axées sur les ressentis très personnels de l’écrivain, à tel point que le lecteur en vient à se demander si « Un bon fils » n’est pas juste le prétexte trouvé par l’auteur pour parler de lui.
Il faut reconnaître que la moelle du livre est intéressante avec les paradoxes qu’elle soulève. La vision qu’a le fils de ce père raciste, sympathisant nazi, misogyne et violent est lucide et franche. L’auteur n’épargne aucun défaut à son père. Pourtant, Pascal Bruckner ne se résoudra jamais à couper les ponts. Il l’accompagnera jusqu’au bout du tunnel, un peu plus tard qu’il ne l’avait souhaité étant jeune, mais fidèle au poste, en fils attentionné, en bon fils. Pourquoi tant de bienveillance pour celui qui, par ses gestes brutaux et ses paroles dures ont tué sa mère à petit feu ? Pourquoi un homme si profondément mauvais a-t-il pu engendrer un fils comme lui: ouvert, aimant, respectueux? L’auteur n’apporte pas vraiment de réponse à ces questions. Il explique qu’il s’est construit en suivant l’exact opposé du chemin que lui indiquait son père et que pour cela, il lui est reconnaissant. C’est un peu court.
Pour ce qui est du bon fils pas de doute. Pour ce qui est du bon livre, c’est une autre histoire.