J’avais déjà beaucoup aimé son récit précédent, « Marthe et Mathilde », dans lequel Pascale Hugues racontait la vie de ses deux grand-mères et l’amitié qui les liait depuis toujours. De même qu’elle avait choisi deux destinées particulières pour reconstituer l’histoire d’une région (l’Alsace), elle récidive cette fois avec la biographie… d’une rue. Pascale Hugues vit à Berlin, où elle est journaliste, et donc curieuse. Pas étonnant dès lors qu’elle commence à se poser des questions sur son quartier, sur ses voisins, bref sur ce qui va devenir au fil de ses pages un personnage à part entière prénommé « ma rue ». On peut s’interroger sur l’intérêt d’une telle démarche… Et bien imaginez ce que Berlin a vécu et connu au cours du 20ème siècle et vous comprendrez à quel point cette enquête se révèle passionnante.
Mais comment réussir à retrouver les gens qui ont vécu là ? « Ma rue » se situe dans l’ancien Berlin Ouest. Un quartier un peu bourgeois, pas particulièrement animé, mais très agréable à vivre. « Ma rue » est née en 1902, mais peu de bâtiments datent de cette époque, les guerres sont passées par là. Et comme « ma rue » était habitée essentiellement par des Juifs, une grande partie d’entre eux ont été déportés (cent six au total) et les autres ont fui l’Allemagne en catastrophe. Pascale Hugues décide alors de passer une petite annonce: « Wer wohnte in meiner Strasse? » Très vite, et à sa grande surprise, elle reçoit un premier message de Miriam Blumenreich qui est née dans « ma rue » et habite aujourd’hui en Israël. Douze autres personnes, éparpillées dans le monde entier, vont répondre à son annonce. Et comme le fil de la pelote qu’on commence à dérouler, Pascale Hugues va parcourir l’Europe, se rendre à New York, à San Francisco, en Israël pour rencontrer les survivants ou leurs descendants et découvrir leurs tragédies. Ce qu’elle a entendu et ce qu’elle nous raconte est bien entendu bouleversant. Mais elle termine sur une note plus légère en rappelant que dans les années 70, le groupe allemand Tangerine Dream vivait là, et avait accueilli un David Bowie venu se réfugier pour échapper aux fans et décrocher de la cocaïne. Tout cela est bien loin et aujourd’hui, « ma rue » est redevenu ce qu’elle était au début du siècle, un « emplacement privilégié ».