Quelle lectrice êtes-vous Katherine Pancol ?
« Je ne serai plus jamais seule et je ne serai plus jamais triste »
Enfant, elle s’est nourrie d’histoires. Elle lisait beaucoup, de tout, puisqu’à la bibliothèque municipale, désemparée devant ces rayons qui n’en finissaient pas, elle avait décidé tout simplement de suivre l’ordre alphabétique. Elle a donc dévoré « pêle-mêle », ce qui lui a probablement donné cette liberté de raconter ce qu’elle veut comme elle veut. Aujourd’hui, alors que les trois volumes de Muchachas ont atteint le million d’exemplaires, elle se souvient pour nous de quelle lectrice elle fut.
Quels sont vos premiers souvenirs de lecture ?
Je suis née au Maroc, et je n’allais pas à l’école. C’est ma mère qui m’a appris à lire et à écrire. A cinq ans, lorsque nous sommes arrivés en France, nous n’avions pas d’appartement et nous étions hébergés au hasard des rencontres. Un jour, nous avons atterri dans la banlieue de Lyon, à Oullins, chez des personnes qui possédaient une immense bibliothèque. Et j’ai pris au hasard « Sans famille » d’Hector Malot. Ce livre m’a sauté au visage. Je me suis complètement identifiée au petit garçon, Rémi. Je me rappelle encore la marche sur laquelle j’étais assise, la robe que je portais, la sensation du froid de la pierre, j’ai ouvert le livre, j’ai lu la première phrase et je me suis dit: « je ne serai plus jamais seule et je ne serai plus jamais triste. »
Ce roman a été le déclencheur de toute une série de lectures j’imagine.
Après Hector Malot, je suis passée à la Comtesse de Ségur, et à la collection des « Contes et légendes ». Ce qui me plaisait chez la Comtesse, c’est que ça se terminait toujours bien, que les parents étaient des vrais parents, autoritaires et aimants, et les enfants des vrais enfants. J’aimais bien cette hiérarchie.
Avez-vous fini par aller à l’école ?
Après avoir fait une sorte de tour de France, ma mère, mon frère et moi sommes arrivés à Paris et nous nous sommes enfin posés. Je suis entrée en CM1. Je suis allée à la bibliothèque et je me suis mise à lire tout ce que je pouvais emprunter, de A à Z. Scrupuleusement. Je lisais absolument tout, et c’est pour ça qu’aujourd’hui j’aime tant de choses différentes. Je dévorais les Jalna, les Cronin, mais aussi Dostoïevski dont la bibliothécaire m’avait dit que c’était peut-être un peu difficile pour moi (je l’ai attaqué quand j’avais 12 ans), Bromfield, Alexandre Dumas, Balzac… Je pense que cette boulimie de lectures explique que je n’ai jamais eu aucun mal à raconter des histoires. Pour écrire, il faut d’abord lire.
Quels sont vos souvenirs de lecture les plus marquants ?
« L’Idiot » de Dostoïevski, « Anna Karénine » de Tolstoï, « La Mousson » de Bromfield, « La cousine Bette », « Les Illusions perdues », « Le Père Goriot » de Balzac, les pièces d’Anouilh. Et les « Claudine » de Colette, l’extase! A la maison, il y avait trois livres. « Climats » d’André Maurois, « L’enfer » d’Henri Barbusse, et « La promesse de l’aube » de Romain Gary, l’écrivain préféré de ma mère. Je les ai lus bien sûr et, quelques années plus tard, j’ai rencontré Romain Gary par hasard, en promenant mon chien. J’avais vingt ans. On est devenu très proches. Je pense que les livres m’ont sauvé la vie, que, sans eux j’aurais mal tourné.
Quand êtes-vous passée de la lecture à l’écriture ?
Quand j’étais en 6ème, j’avais une copine dont le père était journaliste à « Paris Match », et ensemble, on a créé une revue qui s’appelait « Scoop ». Et puis l’été, chez ma grand-mère, à la montagne, j’écrivais des pièces de théâtre que je montais avec mes cousins. Je faisais la mise en scène, les décors, les costumes, et le soir, pour remercier mes cousins de leur participation, je leur racontais des histoires que j’inventais au fur et à mesure et qui duraient des semaines et des mois. Comme dans les mille et une nuits! J’avais une héroïne, Sophie, dont je reprenais les aventures chaque année. Plus tard, à vingt ans, je suis devenue journaliste à Match. Et j’ai rencontré Juliette Boisriveaud qui, lorsqu’elle est partie pour diriger Cosmo, m’a embarquée, et m’a poussée à écrire. Je n’en avais pas spécialement envie. Les livres, je les lisais, je n’ai jamais pensé que je pourrais les écrire aussi!
Quel rôle a-t-elle joué exactement ?
Enorme! C’est elle qui m’a aidée à trouver mon style, ma musique. Je n’avais aucun problème de vocabulaire, ni de structure grâce à tout ce que j’avais lu. Juliette a su voir ce que j’avais en moi. C’était une « accoucheuse de talents ». Elle me disait: « écrivez comme vous êtes! » Facile à dire, pas facile à faire!
Quand vous écrivez, pouvez-vous continuer à lire ?
En principe, je ne lis que des livres qui ont un rapport avec ce que j’écris. Et comme cela fait quatre ans que je cohabite avec « Muchachas »…. Mais j’ai quand même fait quelques petites incartades et j’ai beaucoup apprécié « En finir avec Eddy Bellegueule » d’Edouard Louis, « Karoo » de Steve Tesich, les romans de Joyce Maynard. J’aime beaucoup les Américains.
De quel univers romanesque vous sentez-vous proche ?
Colette et Balzac. Les gens qui prétendent que Balzac n’écrit pas bien, je ne leur parle plus! Pareil pour Victor Hugo. J’ai relu « Les Misérables » l’été dernier, c’est une forêt de sequoïas shootés aux hormones! Génial. Chaque été, je relis un classique.
Comment expliquez-vous votre succès ?
On n’explique pas un succès… Mais, comme on me pose souvent la question, j’ai fini par penser que c’est la rencontre entre une sensibilité et celle de milliers et de milliers de gens. Un son, une couleur, une émotion qui sort d’une personne et s’en va résonner dans la tête et le coeur des lecteurs. C’est pour cela que c’est si fragile, si difficile à atteindre comme une note qui monte haut, haut, et peut se briser…
Avec quels livres allez-vous partir en vacances ?
Des piles! « Une rançon » de David Malouf, une réinterprétation de l’Illiade, « Seule Venise » de Claudie Gallay, une romancière que j’aime beaucoup, « L’Idiot » que je veux relire, un bon vieux Balzac que je n’ai pas encore choisi (j’en relis un chaque été) et plein d’autres encore.
COMMENT LISEZ-VOUS ?
Marque-pages ou pages cornées ?
Pages cornées et, en plus, j’écris sur mes livres. Ils sont bourrés de flèches, d’annotations du genre « chercher l’origine du mot », « atmosphère », « détails », « couleur », « faire sonner comme… », « décalage », des graffiti incompréhensibles à toute autre que moi!
Debout, assise ou couchée ?
Partout et dans n’importe quelle position. Je peux même lire en marchant.
Jamais sans mon livre ?
J’ai effectivement toujours un livre avec moi. Si je suis en train de lire un gros roman, j’en choisis un autre, plus petit, pour le glisser dans mon sac. Mais je dois reconnaître que je n’aime pas beaucoup mélanger les univers.
Bruit ou silence ?
Silence si je veux vraiment lire.
Combien de pages avant d’abandonner ?
Quand je m’ennuie, ou lorsque je vois les ficelles de l’histoire, j’arrête vite. Mais parfois, je mets le livre de côté car je suis certaine que c’est bien, et que je n’ai simplement pas l’esprit à ça maintenant.
L’ORDONNANCE DU DOCTEUR PANCOL
« Les palmiers sauvages » de William Faulkner
« Chéri » de Colette
« Le père Goriot » de Balzac
« Madame Bovary » de Flaubert
« Une chambre à soi » de Virginia Woolf
Propos recueillis par Pascale Frey
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