Dans ce deuxième roman de Victoria Hislop, écrit après L’île des oubliés, grand succès littéraire, on perçoit son attachement voire son amour pour la Grèce. Un pays qu’elle décrit magnifiquement à travers ses paysages, ses hommes et ses femmes, ses ressources, sa culture, ses traditions, son histoire. Observatrice du présent, enquêtrice du passé, conteuse hors pair, elle tisse des récits imaginaires à partir de faits et d’événements ayant réellement eu lieu et d’endroits ayant existé.
Le fil générationnel la passionne : elle enchevêtre l’histoire familiale, relie les personnes entre elles, délie les secrets et les non-dits, assemble, déchire, monte, raccorde… dans un souci de transmission, d’héritage. Ses sagas sont profondément humaines. Victoria Hislop s’intéresse à l’individu dans sa complexité. Ses personnages sont loin d’être fades, à l’inverse ils ont une présence, un charisme, une densité imparable. Qu’ils soient bons ou mauvais, l’auteure parvient à leur donner une consistance indéniable les inscrivant parfaitement dans l’époque narrée.
D’ailleurs dans ce roman-ci, elle crée un personnage singulier. En effet, elle esquisse tellement bien le portrait de Thessalonique – ville importante de Grèce – que la cité semble « vivre » sous nos yeux. On entend presque battre son coeur. Il faut dire que cette ville est incroyable : multiethnique, elle a en son sein, au début du vingtième siècle, une population juive, grecque, turque, bulgare et occidentale dans laquelle vivent en harmonie trois religions (juive, musulmane et chrétienne). Moderne, tolérante, joyeuse, radieuse, commerçante (elle abrite un des plus grands ports du pays), Thessalonique est une ville où il fait bon vivre. Puis arrive en 1917 un incendie monstrueux qui va ravager une bonne partie de la ville, tuant et laissant sans abri des milliers d’habitants. En détruisant les maisons et autres établissements, en modifiant les plans d’urbanisme, le feu réussit à atteindre l’âme de la ville et celui des gens qui l’habite. La reconstruction sera longue et parsemée d’embûches. S’en suivra les affres de la seconde guerre mondiale, l’occupation allemande, la déportation juive… la ville chancelle, les hommes et les femmes qui la peuple aussi… l’intolérance règne et la dictature s’impose.
L’auteure nous raconte l’évolution historique, politique, culturelle de Thessalonique à travers deux personnages emblématiques ; Katerina et Dimitris, d’origines sociales différentes – l’une est réfugiée, elle a été contrainte à quitter Smyrne (guerre gréco-turque) arrachée à sa mère et l’autre est l’héritier d’un grand marchand de textile –. Ils habiteront tous deux dans la rue Irini la bien nommée – Irini signifie « paix » –. Ils joueront ensemble durant leur enfance, se perdront de vue pour se retrouver plus tard… elle deviendra une excellente couturière, il se rebellera contre son père, se battra pour la nation. Ils s’aimeront par delà les distances, par delà le tumulte, par delà le temps qui s’écoule inexorablement. Autour d’eux, de nombreux personnages gravitent, chacun avec son histoire, ses joies et ses peines. Le lecteur ne peut qu’être happé par cette saga passionnante.
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