Pour Nicci French, ce « Sombre Mardi » était le jour où il ne fallait pas se louper. Celui où il fallait confirmer les promesses de la série ouverte un an avant avec « Lundi mélancolie ». Prouver que le personnage de Frieda Klein était assez riche pour durer quelques années encore. Convaincre que l’atmosphère pesante et le rythme lent propres aux aventures de la psy londonienne leur allait aussi bien que ceux de leurs romans unitaires, plus frénétiques.
Le couple d’ex-journalistes londonien, reconverti avec succès dans le polar, a réussi le test pour peu qu’on admettre qu’une psychothérapeute soit capable d’influer à ce point sur le cours d’une enquête criminelle. Dans la vraie vie, le cas doit être rare. Dans leurs fictions, Nicci Gerrard et Sean French ont le doigté nécessaire pour enrober l’hypothèse et la rendre digeste. Cet impact de la psy sur les investigations de son pote l’inspecteur Karlsson s’équilibre avec quelques fâcheuses erreurs d’appréciations.
Inspirée, mais pas infaillible… Sinon, Frieda Klein se révèle pleine de ressources. Son caractère solitaire la rend plus forte. Elle est aussi plus réfléchie que d’autres héros de polar auxquels la solitude leur sert juste à paraître plus humains. Son sens de l’observation et de la déduction nous font voir quasiment « de l’intérieur » les cas pathologiques auxquels elle est confrontée (troubles de la géméllité, schizophrénie, syndrome de Capgras… ).
Héroïne messianique, elle illumine un environnement où l’oxygène s’est beaucoup raréfié comparé aux quatorze premiers livres de Nicci French : ce casting ayant le mal-être pour trait commun, ce Londres où l’on perçoit des psychoses d’enfermement à la Mo Hayder, avec l’eau de la Tamise pour seule issue de secours… Comme si « Psychologie Magazine » explorait les décors de la série télé « Luther ».
Avec « Sombre Mardi », Nicci French étoffe la personnalité de Frieda Klein au fil de ses rencontres et de ses marches nocturnes, faisant apparaître ses souvenirs, ses désirs, ses regrets, la rendant plus charnelle et plus accessible. Le couple en fusion du polar britannique a accouché d’une héroïne incandescente. Tout en entretenant son propre mystère : il reste impossible de deviner qui, de Nicci et de Sean, a bien pu écrire quoi.
