Pauline Dreyfus ne s’est pas trompée en choisissant Paul Morand comme personnage principal de son dernier roman. Diplomate, écrivain, voyageur épris de nouveaux horizons et de belles cylindrées, grand amateur de femmes, la trajectoire de cet auteur-phare des années 30 renfermait un énorme potentiel romanesque, dont Pauline Dreyfus s’est saisi avec brio sans pour autant céder aux sirènes du biographique. L’auteur se focalise en effet sur la dernière bataille livrée par Morand qui, à quatre-vingts ans, vieillard arthritique mais toujours fringant, présente sa cinquième candidature à l’Académie française, épaulé par son épouse, la princesse Soutzo. Cette fois-ci devrait être la bonne : c’est ce qui se murmure sous les dorures de leur salon avenue Charles Floquet, où l’on croise des amis de longue date (Alexandre Vialatte, Pascal Jardin), des jeunes premiers (Patrick Modiano, Jean d’Ormesson, François-Marie Banier) et quelques fantômes (Proust, Giraudoux, Cocteau). La vieille rancune qui opposait Morand à de Gaulle, ce dernier ne lui ayant jamais pardonné sa collaboration au régime de Vichy, semble émoussée, et la disgrâce de l’écrivain, son exil en Suisse après l’Occupation, appartiennent au passé : Morand entre dans le cercle des Immortels le 24 septembre 1968.
Les partisans défilent avenue Charles Floquet, les anciennes maîtresses aussi, dont les coups d’œil encore alertes éveillent des souvenirs enfouis, souvenirs de virées à cent à l’heure au bord de la Méditerranée où Hélène, alors mariée au Prince Soutzo-Doudesco, installée au Ritz, venait le rejoindre en catimini. Souvenirs de salons littéraires où le jeune Paul faisait fureur parmi les belles aristocrates. Souvenirs d’un temps où Paris était une fête… Cette France-là n’est plus. Paul et Hélène ont entamé leur ultime voyage et assistent médusés au réveil de Mai 68. « Ils ont été modernes, et puis ils ont cessé de l’être », dichotomie merveilleusement exploitée par Pauline Dreyfus qui livre un récit empreint de mélancolie et d’une tendresse immense envers son sujet. Les portraits sont vifs et enlevés, les dialogues s’inspirent de l’humour morandien, les situations souvent cocasses font revivre tout un pan du XXème siècle et les personnalités qui l’ont animé. On saura également gré à l’auteur d’avoir accordé à Hélène la place qui lui revenait, à celle qui, en refusant de museler son « Darling Toutou », libre de courir les routes et les jupons, a ainsi contribué à son inspiration et à sa gloire littéraire.