Rouge ou mort
David Peace

traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias
Rivages
août 2014
1000 p.  10 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

David Peace, compositeur inspiré

Fuir la routine et la facilité, chez David Peace, est une seconde nature. Révélé par sa tétralogie policière sur le tueur de Leeds (« 1974 », « 1977 », « 1980 » et « 1983 »), cet auteur britannique de 47 ans, natif du Yorkshire, s’en est allé ensuite creuser des veines politique (« GB 84 », sur les années Thatcher) puis sportive (« 44 jours », bio romancée du légendaire entraîneur de foot Brian Clough), avant de revenir au roman noir en le teintant d’Histoire contemporaine (« Tokyo, année zéro » et « Tokyo, ville occupée », sur le Japon de l’après-guerre).

Pour son neuvième roman, il entreprend d’édifier une statue littéraire à une autre gloire du football british, Bill Shankly. Un Ecossais qui, dans les années 1960, sortit du marasme les « Reds » de Liverpool pour les faire rayonner sur les compétitions anglaises, puis européennes. Mais si son matériau est d’une précision maniaque, si le supporteur le plus chauvin ne trouvera rien à redire aux compositions d’équipe ni aux récits de matchs qui le rythment, le pavé qu’il nous offre n’a rien d’une biographie méthodique.

Lui pratique le roman comme un compositeur inspiré, modelant le fruit de ses recherches avec une étonnante liberté créatrice. De son style syncopé, haché de répétitions, qui illustrent le caractère obsessionnel du personnage et donnent au récit une pulsation hypnotique, il dépeint Bill Shankly en bâtisseur de cathédrale sportive. A la fois chef charismatique de son vestiaire et maréchal du Kop, la fameuse tribune populaire du stade d’Anfield Road. Un homme d’une rare intégrité, emblématique d’une époque révolue. Un pur que traumatiseront la pression des finances sur son métier et l’irruption de la violence autour des terrains.

A travers lui, le romancier salue un peuple qui chante dans l’adversité, une Angleterre du Nord qui oppose son humour moqueur à l’arrogance du riche Sud. Héros de la classe ouvrière plus que figure sportive, soucieux de toujours en donner à son public pour ses quelques pence, Bill Shankly sacrifie sa vie familiale aux choeurs du Kop avec une fidélité aveugle, soutenu par une épouse qui lui tait son cancer et sa dépression. Sur la fin de sa vie, confronté au cynisme du foot-business naissant, il regarde enfin au-delà du rectangle vert, stimulé par la rencontre du Premier ministre travailliste, Harold Wilson, dont il partage les valeurs.

David Peace semble habité par son sujet sans trop se soucier de qui le suivra. Bravant les conventions et les étiquettes, »Rouge ou mort » est d’une originalité déroutante. Pour l’apprécier, mieux vaut sans doute s’intéresser un minimum au foot. Ou sinon, être passionné par l’Angleterre et sa culture populaire, et amateur d’OVNI littéraires. Mais pour peu que l’on s’abandonne à son ampleur, que l’on se coule dans ses accents de mélopée, c’est une lecture exaltante, de celles qui, la dernière page avalée, vous laissent en état de manque…

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