On ne peut pas reprocher à James Salter de nous assommer de livres, au contraire. Ce n’est certainement pas calculé de sa part, mais il laisse assez de temps entre deux romans-récits-recueils, pour que le lecteur se retrouve en manque, pour que chaque nouvelle parution se transforme en petit événement. Il a la réputation d’être un « écrivain pour écrivains », mais qu’est cela signifie? Que seuls les gens qui font le même métier que lui peuvent l’apprécier? C’est idiot et surtout totalement faux. D’ailleurs, James Salter a des groupies. Certains préfèrent son autobiographie, « Une vie à brûler », d’autres sont transportés par « Un bonheur parfait », d’autres encore aiment tout et sans aucun esprit critique, une espèce de secte avec Salter comme gourou! Pas étonnant donc que « Et rien d’autre » (son sixième roman, et le premier depuis 1979) ait ensoleillé une partie de mon été. Car James Salter a le désenchantement heureux et son personnage de Philip Bowman, né en 1925 comme lui, ancien militaire comme lui, traverse sa vie, les chagrins, les deuils, les trahisons et autres coups tordus dans une espèce d’apesanteur qui empêche les tragédies d’être complètement tragiques.
Devenu éditeur un peu par hasard, il débute sa vie amoureuse par un mariage très « high society ». Philip lit, Vivian monte à cheval et ils n’ont pas grand chose en commun. Divorce en douceur et nouvelles amours, nouvelles déconvenues, nouveaux départs… On a l’impression que les choses ne l’atteignent jamais en profondeur, qu’il traverse l’existence comme un passager clandestin, spectateur et non acteur de sa vie. Ce détachement pourrait nous exaspérer, et surtout nous désintéresser totalement de ce qui arrive à son héros. Mais pas le moins du monde, et c’est la grande force de James Salter. Son style évocateur, particulièrement lorsqu’il décrit les scènes d’amour (ce qu’il y a de plus difficile à réussir), cette espèce de brume de nostalgie qui enveloppe son récit, nous déconnecte du présent et nous embarque sur les traces de Philip. Ce récit fourmille de petits détails, apparemment insignifiants, qui font de ce roman « un bonheur parfait ».