La loi sauvage
Nathalie Kuperman

Gallimard
blanche
août 2014
208 p.  17,90 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Vie sauvage mode d’emploi

Rédactrice de notices pour appareils d’électro-ménager chez Technipro, les mots sont l’affaire de Sophie Ehrenkratz. Du moins le croit-elle. Trouver le mot juste, universellement compris de tous, pour expliquer le plus simplement du monde le fonctionnement des fours et des frigos, tel est son métier. Pourtant elle n’a pas mesuré l’effet que pourrait provoquer sur elle et son équilibre professionnel les mots sans appel et sans commentaires que la maitresse d’école va proférer au sujet de sa fille Camille: « Votre fille, c’est une catastrophe ». Une sentence d’autant plus violente qu’elle est prononcée par une institutrice expérimentée qui fait autorité, est aimée de tous et respectée. Sophie est une bonne mère comme on est bonne élève et elle ne peut supporter d’être prise à défaut.  Mais si cette phrase l’ébranle autant, pour ne pas dire démesurément, c’est qu’elle se fait l’écho de celle qu’elle a entendue petite par une gamine de son école « Vous les juifs vous irez tous brûler en enfer, sale juive». Bien des années plus tard, c’est la raison de Sophie qui se met à vaciller et qu’elle va perdre à sa façon. C’est ce que l’on appelle , le retour violent du refoulé. « La phrase serpente sous ma peau, explore les bras, les jambes, le cou et finit par se loger dans le ventre ».  Remonte à la surface le souvenir traumatique d’une insurmontable humiliation,  injuste retour de flamme des injures racistes qu’elle a subies. Une forme de double peine, intolérable.  Une sauvagerie dont elle n’est pas seulement la victime. On mesure alors les raisons profondes qui l’ont amenée à consacrer sa vie aux objets inanimés qui eux ne vous trahissent jamais. Sachant que le pire est de se trahir soi-même…

Avec « Nous étions des êtres vivants » en 2010, Nathalie Kuperman nous avait offert sous forme de tragédie antique un roman très puissant qui démontrait qu’au sein de l’entreprise, l’individu n’est souvent qu’un objet in fine jetable, car hautement périssable. Dans ce dernier roman pour ne pas être rejetée et périr, l’héroïne s’en remet aux objets comme ultime rempart aux malheurs qui peuvent lui tomber dessus et la frapper. Il s’agit toujours d’une histoire de fracture, mais individuelle cette fois-ci. L’auteur nous plonge au cœur même des déséquilibres, des doutes d’une femme  à l’identité blessée. Sa prose qui oscille entre humour (souvent très noir) et gravité, amène le lecteur aux confins d’une forme de délabrement psychique (un épisode maniaque) qu’elle nous fait ressentir à travers les modes d’emploi qui petit à petit deviennent de plus en plus délirants. Ce roman singulier et cérébral est porté par la langue percutante et très évocatrice de Nathalie Kuperman qui comme son héroïne a le sens du mot juste.

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