Ces instants-là
Herbjorg WASSMO

traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier
10 X 18
septembre 2014
408 p.  8,40 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Ces instants là qui sont la vie

Elle a les yeux aussi bleus que la mer qui entoure les îles Lofoten, en Norvège, où elle a grandi et vit une partie de l’année. Ses héroïnes lui ressemblent, des femmes volontaires, énergiques, dures aussi à cause de ce que la vie leur a réservé. A 18 ans, Herbjorg Wassmo a déjà un enfant, et le désir de partir de chez elle. De fuir même. Elle se tourne vers l’enseignement pour gagner sa vie. Mais depuis toujours, elle est envahie d’une colère qui ne la quitte jamais, et pour apaiser cette rage commence à écrire de la poésie. Puis des romans. Très vite, elle devient une auteure reconnue non seulement du milieu littéraire, mais aussi du grand public. Il y aura « Le livre de Dina », une fresque sur la Norvège du 19ème siècle, « La Trilogie de Tora », « Cent ans » un roman dans lequel elle dévoile pour la première fois son secret, sa honte, puis aujourd’hui « Ces instants-là », qui n’a de roman que la dénomination. L’enfant qu’elle a eu très jeune, son désir avorté de devenir peintre, l’inceste jamais prononcé et pourtant omniprésent, la haine qu’elle porte à son père, et enfin l’écriture qui la sauvera de la honte qu’elle ressent de n’avoir pas su résister au viol, et de l’angoisse. L’écriture de Hebjorg Wassmo lui ressemble: sèche, nerveuse, directe et en même temps envoûtante. Découvrez-la, vous ne le regretterez pas.

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coup de coeur

« Tu vis ta vie dans un creux de sable dans le désert. »

Ces instants-là, ça peut représenter les moments que choisit de nous raconter la narratrice, qui sont tous brefs, et chronologiquement construisent une vie; ça peut également mettre l’accent sur les crises dont elle souffre, une sorte d’épilepsie (mais pas tout à fait ni seulement : la notion de pur désespoir y est mêlée – ou pure désespérance ?); ou alors est-il plutôt question de ses nombreux rêves torturés et bien trop riches de sens, ces instants où tout se mélange et dont souvent émerge une compréhension plus fine. Je ne sais pas exactement et j’aime à croire que c’est tout ça à la fois, tout comme j’ignore s’il s’agit d’un roman ou de la biographie même de l’auteur – ce que je sais en revanche c’est que ce livre est d’une beauté intense et m’a profondément touchée. La narratrice est née au cours de la seconde guerre mondiale dans un petit village très au nord de la Norvège. Son enfance est traumatisante, elle la survole seulement dans ce livre (mais nous en donne la clef en épilogue – bien qu’elle l’ai laissé entendre en permanence), sa vie de jeune fille puis de femme adulte sera compliquée mais très riche. La naissance d’un écrivain, d’un auteur, le moment où ce besoin se fait entendre, où ce moyen d’expression établit son séduisant joug, tout est immensément palpable et ça soulève, ça crée une forme d’exaltation chez le lecteur tout en n’occultant aucune des réalités très concrètes d’un tel asservissement (car c’est est un). Tour à tour dramatiques, tendres, amusantes, obtuses parfois, ces pages demeurent en permanence réellement très intéressantes, et j’ai beaucoup apprécié les pudiques ellipses, le lecteur est clairement sollicité, il doit relier seul quelques points. J’aime ça. Un livre qui en appelle à Simone de Beauvoir.

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coup de coeur

Une femme, ses chemins de traverse

On ne connaît pas son nom, ni les traits de son visage, on se dit que sûrement, l’auteure se cache derrière ce « Elle » qui raisonne à chaque page. Qu’elle nous livre ses instants à elle, vécus et assimilés. Qu’elle tisse sa propre histoire, son cheminement de fille, de mère, de femme et d’écrivaine. Qu’elle romance forcément quelquefois, par discrétion et pudeur, pour garder une distance et se préserver.
La narratrice déplie sa vie, pas à pas, image par image, à travers des phrases brèves, percutantes et rugueuses, souvent tronquées. Ne nous dit pas tout, laisse entrevoir. Ses mots, tout aussi durs, rapeux mais non dénués de poésie se fondent dans le paysage qui l’entoure, décor froid, rude mais majestueux. La Norvège.
Des morceaux de vie tantôt en noir et blanc, tantôt en couleur, qui se collent les uns aux autres dans un patchwork mêlant chagrin et joie, doute et surprise, réflexions et décisions, songes et quotidien. Des instants entrecoupés de chutes car elle tombe souvent, littéralement. Evanouissements. Le temps est alors suspendu.
D’adolescente à l’aube de ses cinquante ans, on parcourt le chemin qu’elle a pris, on sent les tensions, on comprend ses interrogations, ses efforts, ses difficultés ; un père qu’elle méprise, une petite soeur qu’elle adore, une mère présente mais insondable voire indifférente, sa rencontre avec celui qui sera le père de son fils, un fils qui sera élevé par sa grand-mère, le pensionnat, la distance avec ce fils qu’elle connaît à peine, son métier d’institutrice, son mariage, la naissance de sa fille, l’amour qui se perd, l’envie de prendre son envol, d’étudier à nouveau, et puis surtout le besoin d’écrire, s’évader, se mettre dans une bulle pour mettre en mots des histoires, ses premières publications, le statut de femme écrivain, l’ombre planante et bienveillante de Simone de Beauvoir, ses relations avec les hommes…
Le cheminement d’une femme, ses chemins de traverse, les jalons qu’elle a posés un à un, l’acquisition de sa liberté. Un roman profondément émouvant.
Retrouvez Nadael sur son blog 

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