La critique invitée Myriam Chaplain-Riou (AFP) aime « Ce premier roman d’un Ivoirien, Armand Gauz, né en 1971 à Abidjan, est l’une des révélations de la rentrée littéraire. Et ce livre jubilatoire, profond, à l’écriture percutante et acérée comme un morceau de rap, nous fait pénétrer dans un univers ignoré de beaucoup de lecteurs: celui des « Men in Black », les vigiles. Le héros de cette épopée moderne, Ossiri, est un étudiant ivoirien, devenu vigile après avoir atteri sans papiers à Paris en 1990. Paru fin août aux éditions du Nouvel Attila avec un tirage initial modeste de 4.000 exemplaires, les 176 pages de « Debout-Payé » ont conquis la critique et le public: le roman en est déjà à ce jour à son quatrième retirage et totalise 30.000 exemplaires. Et ce n’est que le début… Gauz dépeint les servitudes du métier de vigile mais décortique aussi les dérives grotesques de la société de consommation et décrit de l’intérieur les trois âges de l’immigration africaine. C’est aussi un chant en l’honneur d’une famille, où de père en fils on devient vigile à Paris, un chant d’amour à une mère, un hommage à la communauté africaine, avec ses souffrances, son humour, ses travers et ses différences. Le narrateur est fils et petit-fils de vigile. Une lignée de « Debout-Payés », de surveillants transparents aux yeux des clients. Le vigile? Un homme rémunéré -au Smic quand il a des papiers- pour rester debout. Un métier qui consiste à donner une impression de sécurité. C’est un job « qui semble exclusivement réservé aux noirs à Paris parce qu’ils ont le physique pour ça. Parce qu’ils font peur », dit-il. « Dilution pigmentaire, ironise encore Gauz. Plus on s’éloigne de Paris, plus la peau des vigiles éclaircit vers le beur. En province, loin, loin dans la France profonde, il y a même des endroits où il paraît qu’il y a des vigiles blancs. » Le récit est ponctué par des interludes: les slogans des officines de transfert de fonds, « Envoyez de l’agent au pays », illustrées par des photos d’Africains de carte postale, les choses vues et entendues par l’auteur lorsqu’il travaillait comme vigile dans des magasins des Champs-Elysées et de la Bastille. « Si elle se libérait aujourd’hui, la Bastille libèrerait des milliers de prisonniers de la consommation », s’amuse-t-il. Travaillant dans une populaire chaîne de vente de cosmétiques, il plaint les vendeuses qui baignent toute la journée dans des fragances mélangées. Ce sont des « FONI » (Femme à Odeur Non Identifiable) et lui devient un « HOVNI » (Homme à Odeur de Vigile Non Identifiable). Dans leurs oreillettes, les vigiles reçoivent des consignes sur les clients suspects, avec des codes pour les identifier: J3: type arabe ; J4: type négroïde ; J5: type caucasien ; J6: type asiatique… Le vigile n’ose pas demander dans quelles catégories seraient classés les métis ! Un portrait drôle et sans concession des sociétés française et africaine, et un témoignage inédit de ce que voit et ressent le « MIB » (Man in Black) sous sa carapace. « Debout-Payé », c’est aussi l’histoire politique d’un immigré et du regard qu’il porte sur la France, à travers l’évolution du métier de vigile depuis les années 1960 (la Françafrique triomphante) à l’après 11-Septembre, l’ère de la paranoïa. De son vrai nom Armand Patrick Gbaka-Brédé, Gauz, diplômé en biochimie et un temps sans-papiers, a exercé nombre de petits boulots. L’auteur est aussi photographe, documentariste et directeur d’un journal économique satirique en Côte d’Ivoire. Il a également écrit le scénario d’un film sur l’immigration des jeunes Ivoiriens, « Après l’océan ». Propos recueillis par Pascale Frey |
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