Les Mots qu'on ne me dit pas
Véronique Poulain

Le Livre de Poche
août 2014
160 p.  6,90 €
 
 
 
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coup de coeur

Dialogue de sourds

Petite fille, la narratrice est en constant décalage horaire, navigant entre les étages de son immeuble : « Au troisième, avec mes grands-parents, j’entends et je parle. Beaucoup. Très bien. Au deuxième, avec mes parents, je suis sourde. Je m’exprime avec les mains. » La petite-fille vit avec ses grands-parents ce qu’elle ne peut vivre avec ses parents ; les grands-parents, eux, rattrapent avec elle ce qu’ils n’ont pas pu vivre avec leurs enfants.
Elle aurait préféré avoir des parents entendants ; elle comprend en grandissant que ses parents, eux, auraient préféré avoir un enfant sourd. Aucun d’eux n’aime le fossé, infranchissable, qui les sépare définitivement.
Elle qui parle est habituée au silence. Elle a grandi avec lui. Elle en a besoin. Ce qui rend complexes également ses rapports aux autres entendants, qui ont poussé dans le bruit.

Dans une prose brute, Véronique Poulain dépeint un univers auquel les entendants ne connaissent rien, Son livre est une succession de situations parfois cocasses – comment distinguer, par exemple, le mot « escalope » d’ « interprète », qui nécessite les mêmes mouvements des lèvres ? –, parfois d’une tristesse infinie, souvent touchantes. Si l’auteur ne se montre pas toujours tendre avec les siens, c’est pour mieux dire qu’elle les aime.

Les mots qu’on ne me dit pas est un livre différent et inclassable. Le récit d’un choc de culture. D’un dialogue de sourds.
Et une mise en lumière nécessaire, également, de la langue des signes, si expressive, si différente de la nôtre aussi : pas de conjugaison, pas de temps. Seul le mouvement du corps, vers l’arrière ou vers l’avant, distingue le passé du futur. De quoi considérer autrement le langage non-verbal de tous, y compris des entendants.

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coup de coeur nuit blanche

Un magnifique témoignage d’amour

Un petit premier roman qui se lit d’une seule traite. Un petit bijou qui nous ouvre sur un monde inconnu.
Les parents de Véronique Poulain sont sourds et muets. Elle est entendante. Elle partage sa vie, son quotidien avec nous par ce magnifique récit. Elle nous ouvre les portes d’un monde inconnu pour nous. Un magnifique témoignage d’amour.
J’avais envie de reprendre énormément de « jolies phrases » tant elles me parlent et expriment son univers. C’est ce que je vous propose ci-dessous ; lire ces jolies phrases est mon autre manière de vous faire découvrir l’univers de Véronique Poulain.
Véronique a deux langues : le mot et le geste. « Les regards et les gestes remplacent les mots. » Qu’est-ce qu’elle a pu être regardée étant enfant.
L’écriture est à la fois directe, tendre, cruelle, pleine d’amour, d’émotions mais aussi emplie de rage, de révolte, de tristesse, de manque. Les phrases sont courtes, percutantes, elles vont droit au but, elles sont incisives, authentiques, percutantes, naturelles et pleines de sincérité. Elles sont limite proches de l’oralité.µ
Le livre aborde également le regard des autres, la connerie humaine dans les campagnes qui considéraient les sourds comme attardés mentaux. Paris à l’époque représentait l’espoir d’être considéré autrement.
Pour Véronique, l’apprentissage de la lecture fut une révélation, un accès à autre chose, à la communication.
Le livre raconte aussi le combat de ses parents pour faire admettre l’enseignement de la langue des signes, la révolution dans leur mode de vie que l’apparition du Minitel, des programmes sous-titrés et du langage gestuel à la télévision.
Le livre est construit par de très courts chapitres dressant leur quotidien sur base d’anecdotes, de scènes de la vie de tous les jours. Ceci avec beaucoup d’humour et de second degré.
Savez-vous que les sourds sont bruyants, très bruyants, qu’ils claquent les portes, font beaucoup de bruit lorsqu’ils mangent, etc…qu’ils sont également sans tabou en amour, le sexe est imagé, plus libre,sans complexe, c’est tout simplement naturel. Dans leur langage, les jeux de mots, les métaphores n’existent pas.
Véronique nous fait part également des mots qu’on ne lui dit pas, de sa frustration car elle aurait tant aimé entendre que ses parents lui disent je t’aime.
Un discours proche de l’oralité, des phrases percutantes directes et efficaces, bref vous l’aurez compris un livre qui m’a particulièrement touchée. Un magnifique témoignage d’amour à découvrir au plus vite.

Les jolies phrases ou comment raconter l’histoire autrement:
Mes parents sont sourds. Sourds-muets. Moi pas.

Je suis bilingue. Deux cultures m’habitent.

Le jour : le mot, la parole, la musique. Le bruit.
Le soir : le signe, la communication non verbale, l’expression corporelle, le regard. Un certain silence.

Et en décembre 68, extase, béatitude et ravissement : j’écris mon premier mot, le mot cheval. Le nom du père pour un poulain.

Ma vie commence à être intéressante. Je vais lire. Je ne vais enfin plus m’ennuyer. Je dévore les mots qu’on ne me dit pas.

Quand mes parents me parlent, je dois les regarder. … La seule chose que je dois faire est de ne surtout pas les quitter des yeux. C’est épuisant.

On dit muets , sourds et muets. Idée reçue. Les sourds parlent. Ils ont une voix. Ils ne la contrôlent pas, ils ne la placent pas mais elle existe. Elle est atroce. La voix est gutturale.

Les sourds ne sont décidément pas muets et parfois, c’est bien dommage.

Entre couleur et musique, je choisis la couleur. Etre aveugle serait invivable.

C’est tout de même insensé d’en vouloir à ses parents parce qu’ils sont handicapés. Je sais bien que ce n’est pas de leur faute. Mais voilà, je leur en veux. S’ils n’étaient pas sourds, nous aurions de grandes discussions sur le monde, la politique, l’éthique, Schopenhauser ou Nietzsche, Tolstoï ou Dostoievski, Mozart ou Bach…

Je veux des parents qui parlent, qui ME parlent, qui entendent, qui M’écoutent.

Déjà qu’ils n’entendent pas, comment voulez-vous qu’ils sous-entendent ?

Autant parler de sexe ne me pose aucun problème, je ne vois rien de tabou ni d’impudique à ce sujet. Merci maman ! Autant parler de sentiments ou de ce que je ressens est autrement plus complexe.

Je ne me doute pas encore qu’une mini-révolution est en marche. Je ne me doute pas encore qu’en changeant leur vie, ils changent la mienne.

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