On sait bien que les hommes les plus drôles sont souvent les plus désespérés. Mais on n’imaginait pas que Patrick Dennis, de son vrai nom Edward Tanner, était de ceux-là. Pour les lecteurs qui l’auraient oublié, cet Américain, disparu en 1976, est l’auteur d’un des romans les plus drôles qui soit : « Tante Mame ». L’histoire du petit Patrick confié à sa tante à la mort de ses parents. Une tante excentrique qui lui apprendra bien plus que la politesse et les bonnes manières : l’humour, l’optimisme et le plaisir. Sorti en 1955, c’est un succès foudroyant – 2 millions d’exemplaires vendus – même s’il fut d’abord refusé par d’innombrables éditeurs. Patrick Dennis devient une star de l’édition. Son œuvre est adaptée au théâtre, au cinéma, en comédie musicale. Ses livres suivants connaissent une carrière similaire.
Bisexuel, il épouse Louise, intelligente et conciliante, avec qui il a deux enfants. Ils ne seront pas des mondains et on ne les verra dans aucune soirée de la haute société. Malgré une vie de famille paisible et cette gloire insensée, Dennis est dépressif et tente de se suicider plusieurs fois. On ne saura jamais pourquoi il souffre tant, on ne peut que supposer : un père qui ne l’a pas aimé, sa bisexualité qui le tourmente…
Autre difficulté : la mode n’est plus aux textes humoristiques ou peut-être l’écrivain a-t-il perdu de son inspiration et de son mordant. Toujours est-il que ses œuvres se vendent de moins en moins, puis plus du tout. Il part alors pour le Mexique, abandonne sa famille et dépense sans compter. Lorsqu’il revient aux États-Unis, il n’a pas un sou en poche et la notoriété n’est plus qu’un lointain souvenir. Il faut travailler et le voilà engagé comme maitre d’hôtel, un métier qu’il aimera beaucoup, dira-t-il plus tard. Ses patrons, dont la famille Kroc, propriétaire de McDonald’s, ne sauront jamais que leur « butler » n’est autre que l’auteur de « Tante Mame ».
Au début des années 70, il retourne vivre chez sa femme, Louise, qui le veille avec affection lorsqu’il tombe malade. Un cancer du pancréas l’emporte à l’âge de 55 ans.
Quarante ans plus tard, Dennis est un inconnu. Et puis « Tante Mame » est réédité d’abord par les éditions Salvy, puis par Flammarion et la charmante fofolle fait à nouveau des émules. On publie alors « Autour du monde avec Tante Mame », suite des aventures, et, ces jours-ci, « Un vrai génie »,l’histoire inénarrable d’un metteur en scène hollywoodien mégalo et roublard. Fous rires assurés à chaque page.
Patrick Dennis était mort et le voici ressuscité. Qui s’en plaindrait ? Sûrement pas ses nouveaux lecteurs.
