i n t e r v i e w
« il fallait que j’accepte de ne pas écrire comme Stieg Larsson »
Courageux ou kamikaze David Lagercrantz ?! Après Zlatan Ibrahimovic, il s’attaque à un autre mythe, « Millenium », le roman qui a fait souffler sur le monde du polar un vent meurtrier et suscité d’innombrables vocations chez les écrivains nordiques.
Petit rappel en chiffres de ce phénomène d’édition : le premier volume de la trilogie suédoise a paru en 2005, quelques jours après la mort brutale (crise cardiaque) de son auteur, Stieg Larsson, qui n’avait que cinquante ans. Les deux autres volumes sont sortis en 2006 et 2007 et, depuis, le tout s’est vendu à 82 millions d’exemplaires dans le monde.
Lorsque l’éditeur et la famille de Stieg Larsson ont proposé à David Lagercrantz d’écrire un volume 4, il n’a pas hésité. Un projet controversé (ces suites fabriquées n’ont jamais rien donné de bon), mais qui s’annonce déjà comme un succès commercial. Rien qu’en France, 500.000 exemplaires étaient mis en place dès les premiers jours alors que personne encore ne l’avait lu. Comment imaginer pourtant qu’il était possible de ressusciter la magie de ces romans écrits dans une sorte d’état de grâce, au point que les lecteurs s’identifiaient à une hackeuse gothique ou à un reporter déprimé… Le résultat ? Rien à voir avec « Millenium », mais un polar plutôt réussi. Quant à l’auteur, il ne comprend pas très bien ce qui lui arrive. Son livre sur Zlatan avait été un best-seller, mais c’était le footballeur qui se trouvait dans la lumière. Cette fois, c’est à son tour d’être expédié en première ligne. Je l’ai rencontré au début d’une tournée mondiale de rock star qui se pousuivra jusqu’à Noël !
On ne vous connaît pas très bien en France, David Lagercrantz. Qui êtes-vous ?
Mon père était un célèbre intellectuel, influent dans les années 60, 70. En ce qui me concerne, j’ai pris des voies de traverse, j’ai travaillé pour des tabloïds, enquêté sur des faits divers. Dans les années 90, je me suis mis à écrire des livres sur des génies, des inventeurs, et en 2009 j’ai publié un roman sur Alan Turing, un célèbre mathématicien anglais. Puis un jour mon éditeur a eu cette idée folle : devenir la plume de Zlatan Ibrahimovic, alors que je n’étais pas spécialiste de foot. Je me suis passionné pour son parcours et ce fut non seulement une belle rencontre, mais aussi un succès dingue : 500.000 exemplaires vendus en un mois dans un pays qui compte neuf millions d’habitants. Cela a touché des gens qui n’avaient jamais ouvert un livre.
Vous êtes journaliste, aviez-vous déjà rencontré Stieg Larsson dans le cadre de votre métier ?
Jamais. C’était un homme formidable, qui se battait contre l’extrême-droite, mais à l’époque son action restait confidentielle. Pour être franc, je n’avais même jamais entendu parler de lui avant « Millenium ». Aujourd’hui, il est devenu une légende, non seulement à cause de ses best-sellers, mais aussi en raison de ses combats politiques justement.
Mais aviez-vous lu sa trilogie, lorsqu’elle a paru, il y a dix ans ?
Oui. Je suis un peu snob, et je n’aime pas me précipiter sur ce que tout le monde lit, mais je n’ai pas pu y échapper ! Et j’ai beaucoup aimé Lisbeth Salander. Depuis, évidemment, je l’ai beaucoup relue. J’en suis même devenu obsédé.
Comment avez-vous travaillé ?
Il a fallu que je trouve une histoire suffisamment complexe pour tenir le lecteur en haleine pendant cinq cents pages. Je l’ai située dans le milieu des mathématiques. Après, il a fallu trouver le ton juste pour les personnages, mais il fallait que j’accepte de ne pas écrire exactement comme Stieg Larsson. Longtemps mon père et Stieg regardaient ce que je faisais par-dessus mon épaule ! Et puis cela a cessé. Et j’ai commencé à sentir qu’il s’agissait de mes propres personnages. Ce fut un moment magique.
Y aura-t-il un cinquième tome de « Millenium » ?
Nous sommes en train d’en discuter, mais une chose est certaine, je ne serai pas Stieg Larsson toute ma vie ! Je sais que toute cette histoire ressemble à un conte de fées mais, en réalité, ma vie est folle. En Suède, mes moindres faits et gestes sont épiés par les journaux qui essayent de dénicher un scandale. En même temps, j’apprends que le New York Times a aimé mon livre. Il y a un mélange de bonnes et mauvaises choses et tout est un peu confus dans ma tête. Donc j’ignore encore s’il y aura un tome 5, mais de toute manière, il faudra que je prenne le temps de souffler un peu !
propos recueillis par Pascale Frey