Colum MCCANN
traduit de l'anglais par Jean-Luc Piningre
10 X 18
février 2016
264 p.  7,50 €
 
 
 

e n t r e t i e n   a v e c   Colum McCann
« l’autre nous permet de comprendre qui nous sommes »

 

L’écrivain irlandais renoue avec la forme brève et publie un recueil de cinq nouvelles où violence et grâce se conjuguent pour donner vie à des personnages inoubliables. Quasiment achevées à l’été 2014 lorsque Colum McCann est victime d’une agression, ces nouvelles vibrent d’une tension et d’une force  particulières nées du traumatisme.

A quel moment décidez-vous qu’une histoire prendra la forme d’une nouvelle ou celle d’un roman ?
A mons sens, l’histoire décide elle-même de sa longueur. Comme un morceau de musique, elle trouve son propre tempo et choisit les instruments nécessaires à son écriture. Certaines histoires ont besoin « d’imploser » : les codes et la concision de la nouvelle leur conviendront mieux dès lors. D’autres se déploient « en explosant », il y a alors de grandes chances pour qu’elles m’embarquent dans l’écriture d’un roman. Mais je n’ai pas de préférence, je n’établis aucune hiérarchie entre ces deux genres, l’un ne me paraît pas plus prestigieux que l’autre.

S’il semble n’y avoir aucun lien entre vous et vos personnages, le lecteur a pourtant l’impression de faire corps avec eux. Comment l’expliquez-vous ?  
Très sincèrement, je ne sais pas d’où vient cette empathie entre mes personnages et moi. Je m’intéresse aux autres depuis toujours. Et je ne dis pas cela pour me lancer des fleurs ou passer pour un saint ! Quand j’étais enfant, il m’arrivait de disparaître pendant des heures, personne ne savait où j’étais. Puis, à 21 ans, j’ai pris mon vélo avec une idée en tête : parcourir les Etats-Unis. Cela m’a permis de rencontrer des personnes vivant dans des conditions très diverses, de l’opulence au dénuement le plus total, comme dans le Mississippi, en Alabama et en Louisiane. Cela m’a beaucoup marqué. Sur la route, les gens me demandaient où j’allais, me posaient quelques questions et me proposaient de prendre un verre. Ils commençaient alors à me parler d’eux, de leur vie, parfois de manière très intime. Ils avaient besoin de se confier à quelqu’un et ils savaient que j’étais de passage, que je ne connaissais ni leur famille, ni leurs amis, ni personne en ville. Cela créait une forme de complicité entre nous. J’ai beaucoup appris sur moi-même en les écoutant. Ils m’ont convaincu que l’autre nous permet de comprendre qui nous sommes.

Vous avez déclaré dans plusieurs interviews que ce recueil est votre ouvrage le plus personnel.  
Pour moi, tout travail est autobiographique, et parfois d’autant plus autobiographique que l’histoire racontée semble éloignée de la nôtre. Il m’a fallu du temps pour le comprendre. La première nouvelle du recueil a pour cadre le quartier de New York dans lequel je vis avec ma famille, et je me suis rendu compte que c’était la première fois que j’écrivais sur un lieu aussi familier, en trente ans de carrière ! Elle relate également une journée ordinaire au cours de laquelle un vieil homme est victime d’une agression dans la rue et, quelque temps après avoir écrit cette nouvelle, j’ai moi-même été victime d’une agression. C’est pour cette raison que j’écris, à la fin du recueil : « Il me semble parfois que nous écrivons notre vie à l’avance et que, d’autres fois, nous sommes seulement capables de regarder derrière nous. »

En juin 2014, vous vous retrouvez donc à l’hôpital, dans un état sérieux, après avoir tenté de secourir une femme violentée par son conjoint. Comment cet événement a-t-il influencé l’écriture du recueil ?  
Cet événement n’a pas changé ma manière d’écrire mais plutôt les thèmes que je souhaitais aborder. Lors du procès, j’ai dit à mon agresseur que je lui pardonnais son acte, mais que je ne l’excusais en rien. J’ai voulu écrire sur cette distinction qui me paraît aujourd’hui fondamentale, et donner une voix aux victimes qui n’ont pas la chance, comme moi, de bénéficier d’une certaine notoriété pour se faire entendre. Après mon agression, j’ai reçu beaucoup de lettres, venues du monde entier, en grande majorité écrites par des femmes qui me racontaient leur histoire, les violences auxquelles elles avaient été ou étaient toujours confrontées. « Treize façons de voir » s’inspire aussi de leur témoignage.

Vous êtes le cofondateur de Narrative 4, une ONG créée en 2013 qui promeut les échanges entre individus dans le but de développer l’empathie et de former des citoyens responsables. Vous êtes également engagé dans diverses organisations caritatives. Qu’est-ce que cela signifie, pour vous, être engagé ?  
Un écrivain n’a pas l’obligation morale de s’engager. Mon engagement découle de mon parcours et relève d’une nécessité personnelle. J’ai réfléchi à une vertu que tout le monde est en mesure de développer, et la notion d’empathie s’est imposée. Narrative 4 est soutenue par plusieurs écrivains. Nous nous rendons dans des collèges, des lycées et nous demandons à quelqu’un de s’emparer de l’histoire d’un de ses camarades et de la raconter. En général, cette personne met plus de cœur à raconter l’histoire d’un autre que la sienne propre. Cela permet aux jeunes que nous rencontrons de faire l’expérience de l’altérité, de se glisser dans la peau d’un autre et, ainsi, de développer de l’empathie.

Vous avez reçu à l’automne 2009 le grade de Chevalier des Arts et des Lettres. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
J’étais ravi, mais également très surpris que l’on me fasse cet honneur. Les Français ont lu mes livres et les ont aimés bien avant les Anglo-saxons et les Américains. J’ai donc un lien particulier avec la France. Qui sait, peut-être un jour écrirai-je mon roman français !

Propos recueillis par Laëtitia Favro

 

Pour connaître un peu mieux Colum McCann, vous pouvez allez vous promener sur son site http://colummccann.com/

 

 
 
partagez
partage par email