o n  l  a  v u Il reste quelques semaines à peine pour voir ou revoir au musée Marmottan un ensemble unique d’œuvres du Moyen-Age à nos jours et dont le thème commun est la toilette, ses gestes, ses objets, son espace. Au fil de corps idéalisés ou réalistes, parfois abstraits, subtilement couverts ou découverts, surpris ou dévoilés, l’exposition nous plonge dans une histoire occidentale de l’intimité ainsi que l’illustre son affiche d’après la « Jeune femme à sa toilette » (1898) du peintre méconnu Eugène Lomont. Dans le parcours chronologique, l’accrochage de ce tableau marque d’ailleurs une transition dans la représentation quand, avec le 19e siècle, l’espace de la toilette peu à peu se referme, se modernise, isolant son rituel et ses gestes singuliers. Envolés les bains idéalisés du Moyen-Age ou amoureux de la Renaissance, les toilettes de cour ou libertines de l’époque moderne. Jusque là , seule « La Femme à la puce » (1638) illustrait intimité… et solitude. Ce tableau de Georges de La Tour – dont la contemplation convoque tout autant Balthus, Rembrandt ou Caravage – fait exception aussi par ses dimensions, quasiment doubles de celui de Lomont. Ces deux peintures ne sont que des exemples. À partir d’une centaine d’œuvres, Georges Vigarello et Nadeije Laneyrie-Dagen, respectivement spécialistes de l’histoire du corps pour l’un et de sa représentation pour l’autre, racontent avec bonheur l’évolution de l’histoire de la toilette et les profondes transformations de sa pratique et de son image. Car, si l’étude du nu perdure, la gestuelle devient motif à part entière, comme nous en a prévenu la projection de la réjouissante chronophotographie d’Edward Muybridge issue d’ « Animal Locomotion » (1887) en exergue de l’exposition. Motif pictural qui ouvre sur une représentation de l’intime que l’accrochage en face à face des œuvres choisies de Degas et de Bonnard laisse plus loin si bien voir et ressentir [1]. Le catalogue est à la hauteur du plaisir éprouvé : simple et précis, il parle de peinture (gravure, photographie et sculpture à l’occasion) et décrit comment ces transformations historiques et sociologiques se perçoivent et s’organisent sur la toile. Il y est question de sujets, de croyance, d’hygiène, d’amour, de sexe, de décors et d’objets mais aussi de formats, de cadrages, de lumières, de coloris et de couleurs. Un régal ! Excepté la référence au « Bain des hommes » de Dürer et une poignée de gravures de quelque marquis à sa toilette, les sujets masculins sont quasiment absents et c’est un peu frustrant de ne pas lire les auteurs à ce propos. Naturellement tout au long du parcours, il pourra ici ou là manquer certaines œuvres de votre iconographie personnelle, de Titien à Ingres, de Cézanne à Gowin… Comme elles ont dû manquer aux commissaires qui ne renoncent pas dans le catalogue à la sensuelle Bethsabée de Memling. Mais vous ferez des découvertes comme les trésors de volupté de la tapisserie « Le Bain » de La Vie seigneuriale (ca 1500) ou la suffocante « Femme à sa coiffure » (1942) de Wilfredo Lam. Jusqu’à l’inattendu avec cette photographie par Art Shay de « Simone de Beauvoir après son bain » (1950) : la porte est ouverte et l’écrivaine est photographiée de dos, mais tout de son attitude, de sa gestuelle jusqu’aux mules raffinées à ses pieds, raconte qu’elle se sait, se veut regardée. Une façon élégante pour les auteurs de refermer cette histoire de la toilette. Désormais, la femme gouverne son image, « jouant de la nudité révélée ou masquée, et de l’excitation ou de la frustration du désir ». Mais l’histoire continue… [1] Voir http://www.onlalu.com/expo-pierre-bonnard-sfar/
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