Librairie Jules et Jim (Cluses)
illustration Brigitte Lannaud Levy (Dr.)
Voici la plus « truffaldienne » des librairies françaises. Créée en 2002, elle a été baptisée ainsi en hommage au célèbre film de François Truffaut, lui-même adaptation du roman de Henri-Pierre Roché. Mais ne vous méprenez pas, ce n’est pas une librairie spécialisée dans le cinéma, mais bien une enseigne généraliste. Rachetée en 2012 par Caroline Macheda qui nous accueille, elle a conservé ce nom tant elle aime cette histoire de trio amoureux magistralement mise en scène par Truffaut. C’est à l’approche de la cinquantaine que cette ancienne bibliothécaire a franchi le pas, pour découvrir une autre facette du livre et de la lecture en devenant libraire. Volontairement, elle a gardé « le côté un peu fouillis du lieu, mais que la profusion d’ouvrages rend très cosy », nous explique-t-elle. Ici le maître mot c’est « disponibilité ». Pour bien servir, conseiller et guider les lecteurs dans leurs choix. Et il lui tient particulièrement à cœur de toujours garder un pied à l’extérieur, à travers des partenariats avec d’autres acteurs de la vie locale. Avec cette volonté de faire vivre le livre dans plein d’endroits différents de cette commune de Haute-Savoie. C’est ainsi que les rencontres avec les auteurs ont lieu au Popayan, un café situé juste à côté. Ou encore sont organisées des opérations thématiques avec d’autres commerçants ou restaurateurs, comme cette épicerie fine qui soutient une sélection de livres asiatiques. « Notre idée c’est de diffuser le livre partout et ainsi aller vers les gens qui sont encore trop intimidés à l’idée de pousser les portes d’une librairie ».
Quel roman nous recommandez-vous de lire ?
« San Perdido » de David Zukerman (Calman-Levy). Dans une ville côtière du Panama dans les années 50, l’histoire d’un gamin muet dans une décharge à ciel ouvert qui possède une force singulière dans les mains au point de devenir une légende. Une sorte de justicier silencieux au service des plus faibles.
Et du côté des auteurs étrangers ?
« La goûteuse d’Hitler » de Rosella Postorino (Albin Michel). En 1943, reclus dans son quartier général sur le front de l’Est et obsédé par les attentats, Hitler recrute 15 goûteuses et parmi elles, Rosa. La mort peut être au bout de chaque bouchée et ces femmes vivent toutes la peur au ventre. Elles n’ont pas le droit de refuser, consentir à ce rôle c’est à la fois survivre et manquer de mourir. Sur un sujet grave, cette romancière italienne nous livre un roman passionnant sur la dignité, l’ambiguïté des relations humaines. Ce roman s’inspire d’une histoire vraie, celle de Marot Woelk , seule goûteuse survivante, les autres auraient toutes été fusillées par les soldats russes.
Y a-t-il un premier roman qui vous a particulièrement marqué ?
« Les photos d’un père » de Philippe Beyvin. (Grasset). À 14 ans, Thomas apprend de sa mère que son père n’est pas son père naturel sans pour autant lui révéler l’identité de ce dernier, prétendant l’avoir oubliée. Le garçon va alors se lancer dans une enquête sur son identité qui le conduit jusqu’au Cambodge.
Quel est le livre le plus emblématique de la librairie que vous défendez avec ferveur ?
Plus qu’un livre c’est l’œuvre d’un auteur : Laurent Gaudé. Un écrivain qui met toujours les bons mots au bon endroit. À la lecture de son roman, « Le soleil des Scorta » (Actes Sud), je ressentais littéralement la chaleur intense sur mes épaules. Tous ses livres sont emprunts d’humanité. On pourrait tous les recommander: « Eldorado », « La mort du roi Tsongor », « La porte des enfers », « Cris », « Ecoutez nos défaites », « Ouragan », « Pour seul cortège », « Danser les ombres », « Salina ».
Quel livre vous êtes-vous promis de lire ?
Si vous saviez, j’en ai deux cents à la maison. Mais c’est « Le livre de ma mère » d’Albert Cohen. J’ai interrompu ma lecture alors que j’étais dans un train, mais je veux la reprendre quand je serai au calme en haut de la montagne ou au bord de la mer, pour en déguster les mots et m’en imprégner.
Une brève de librairie
Un samedi, un client est arrivé à 19h00, juste au moment de la fermeture, en s’exclamant « Au secours, j’ai absolument besoin d’un livre pour mon enfant de un an ». Corinne lui sort quatre livres et il dit sans regarder « Je prends, je prends, je prends, je prends… » . Il a payé, il est parti. Et avant de fermer la porte, il se retourne et nous dit « De toutes les façons, je vous fais confiance ». Tout est dit.
Propos recueillis par Brigitte Lannaud Levy
Visiter d’autres librairies
Librairie Jules et Jim
2 impasse Firmin Guy
75300 Cluses