La Madeleine (Lyon)
©Ill.Brigitte Lannaud Levy
Madeleine par amour de Proust, Madeleine pour le quartier, le nom de la rue, mais aussi parce que son diminutif Mad leur va si bien. Voici toutes les bonnes raisons qui ont amené ces deux jeunes libraires à baptiser leur librairie lyonnaise ainsi. Elles s’appellent Juliet Roméo et Alexandra Villon. Avec des patronymes aussi romanesques et poétiques, elles semblaient prédestinées au métier de libraire. C’est le 27 avril dernier, jour de fête de la librairie indépendante qu’elles ont ouvert les portes de leur enseigne. Comme pour lui porter chance. Pour s’installer à moindres frais et dans un esprit éthique, elles ont fait appel à la Brigade de Construction Collective qui récupère les palettes de bois sur les chantiers pour les recycler en mobilier. Tout ce bois brut pour les étagères et les tables plaît beaucoup et contribue au charme du lieu. Et puis ça va dans le sens de leurs valeurs. Toutes deux se définissent comme éco-punk, aimant faire circuler leurs idées écologistes et féministes. La librairie quoique généraliste, propose un très vaste rayon jeunesse où les enfants peuvent se poser sur des chaises autour d’une palette pour bouquiner tranquillement. Et puis il y a aussi le rayon occasion qui permet de faire circuler les livres. « Les livres il faut que ça tourne et fonction des moyens de chacun », nous explique Alexandra. Rencontre avec deux libraires d’un nouveau type qui ont choisi de ne pas choisir et de nous répondre à deux voix pour défendre chacune ses coups de cœur. Quand on aime, on ne compte pas. Voici une interview où les mots comptent double.
Quel roman français nous recommandez-vous de lire?
« Écorces vives » d’Alexandre Lenot en collection noire chez Actes Sud. C’est une fable sociale dans le monde rural au cœur du Cantal. Un roman noir de 200 pages dense et puissant. Dans une bourgade isolée du Massif central, un rôdeur hante les bois. Une femme va le recueillir. Un roman sur la montée en puissance des hostilités vis-à-vis de l’autre. On recommande ce texte à tours de bras.
« Le poids des secrets » d’Aki Shimazaki (Actes Sud). D’origine japonaise, elle écrit en français. Une œuvre construite sur les silences tout en délicatesse et qui aborde pourtant les personnages dans toute leur complexité.
Et du côté des auteurs étrangers ?
« By the rivers of Babylon » de Kei Miller. Cet auteur né à la Jamaïque vite en Angleterre. Son roman paru chez Zulma vient de sortir en poche. Dans un quartier pauvre de Kingston, Kaia rentre en pleurs de l’école où on lui a coupé ses dreadlocks. C’est un sacrilège pour un rastafari. Cette agression va provoquer un véritable cataclysme. Un moment magique de lecture.
« L’université de Rebibbia » de Goliarda Sapienza ( Le Tripode). C’est le récit de son séjour en prison dans en 1980. Un œuvre féministe où tous les personnages participent d’une grande fresque sur ce qu’est être une femme, sur ce que l’on attend de soi et des autres.
Y a- il un premier roman qui vous a marquées ?
La majorité des livres qu’on lit sont des premiers romans. Parmi eux nous pouvons vous recommander « My absolute darling » de Gabriel Tallent (Gallmeister). Un lecture choc, qui renvoie à l’écriture de Vernon Sullivan et à la violence de certains de ses romans.
« Motorman » de David Ohle, un roman légendaire enfin sorti de l’oubli par les éditions Cambourakis. L’auteur était un proche de Burroughs dont il aurait été le preneur de rêve durant les dix dernières années de sa vie. À la croisée des genres : SF, imaginaire, roman picaresque et politique, c’est une œuvre de poésie pure, ode à la liberté et à l’imaginaire. Un livre qui happe autant qu’il échappe et que l’on peut relire inlassablement.
Quel est le livre le plus emblématique de la librairie que vous défendez avec ferveur ?
« Le petit traité du jardin punk – Apprendre à désapprendre » de Éric Lenoir (Terre vivante). Dans ce manuel de néo-jardinier à l’impertinence positive, l’auteur nous encourage à nous émanciper des conventions, des idées toutes faites sur les jardins et incite à l’observation, à la transgression. Un livre à l’image des adventices, ces mauvaises herbes capables de fissurer le béton pour se faire une place au soleil.
Et aussi « Le gang de la clé à molette » d’Edward Abbey (Gallmeister), dans lequel une bande d’hurluberlus lutte pour préserver le côté sauvage de la nature et fait sauter les chemins de fers armés de clés à molette, de bâtons de dynamite. Un livre tragi-comique, véritable hymne à la désobéissance civile.
Quel livre vous êtes-vous promis de lire ?
« Ni droite ni gauche. L’idéologie fasciste en France » de Zeev Sternhell (Gallimard). J’en repousse la lecture de peur qu’elle me donne mal au ventre, nous précise Juliet. «Jérusalem » d’Allan Moore (Éditions Inculte). Un roman monumental, il me faudrait un mois de vacances pour aller jusqu’au bout, nous explique Alexandra.
Une brève de librairie
Le jour de l’ouverture à 9h35, une dame nous demande si nous sommes une librairie spécialisée dans les ouvrages sur les tortues de terre. Nous lui avons répondu que non, mais que nous aurions très bien pu l’être.
Une autre fois, alors que nous offrons des madeleines à déguster à la caisse, un monsieur la bouche pleine nous demande comment s’appelle la librairie.
Propos recueillis par Brigitte Lannaud Levy
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Librairie La Madeleine
16 rue de la Madeleine
69007 Lyon
09 53 20 39