Les Lisières à Roubaix
illustration Brigitte Lannaud Levy
Ici les enfants et les chats sont rois. Aussi n’est-il pas rare de voir traîner des jouets au pied des livres. Normal, Emilie Vaney qui a repris cette adorable librairie de la Grand place de Roubaix en 2011, rejoint toute sa tribu qui habite avec elle au premier étage, par l’escalier intérieur de son enseigne. Elle vient juste d’avoir son deuxième enfant et nous dit dans un grand éclat de rire: « mes collaborateurs savent vendre des livres tout en remettant la tétine de mon bébé dans sa bouche». Comme vous l’avez compris, un esprit de famille souffle sur les lieux avec un désir ancré que les gens puissent se « sentir comme chez eux ». Si la librairie s’appelle « Les lisières », c’est en référence à la citation de Sainte Beuve, mais aussi à cette idée d’être dans les marges comme aux lisières des forêts. Et bien évidemment il y a un lien avec les lisières en couture, l’industrie textile étant le fleuron de cette région du Nord. Bien que le décor soit cosy avec du mobilier chiné, de vieux fauteuils de cinéma, l’équipe n’aime rien tant que sortir les livres des tables et les dresser sur des stands à l’extérieur pour y animer conférences et rencontres. Il faut bien déployer toutes les énergies créatives quand on a l’imposant Furet du Nord qui s’est installé à quelques pas de là dans la Grande rue. Entre deux biberons et un office, Émilie Vaney nous accueille pour nous livrer ses précieux conseils de lecture.
Quel roman français vous a particulièrement plu récemment ?
« La femme brouillon » d’Amandine Dhée (La Contre-allée). C’est un auteur de chez nous. Un texte incisif, plein d’humour et décalé sur les affres inavouables de la grossesse et de la maternité. Un témoignage très juste sur les contradictions que l’on peut éprouver quand on est mère.
Et du côté des romans étrangers, que nous recommandez-vous ?
« Le dimanche des mères » de Graham Swift (Gallimard). En 1924 en Angleterre, on suit Jane, une jeune femme de chambre qui travaille et bénéficie du congé offert aux domestiques une fois l’an pour rejoindre leurs familles. Mais orpheline, c’est son amant qu’elle retrouve, un jeune homme fortuné qui hélas est promis en mariage à une jeune aristocrate comme lui. Il donne à Jane un ultime rendez-vous secret, dans la demeure familiale, avant de convoler. C’est un court roman d’apprentissage de 150 pages, très bien écrit et qui nous permet d’assister au moment où le destin d’une héroïne bascule. Très beau.
Y a-t-il un premier roman qui vous a marquée ?
« La poudre et la cendre » de l’auteur américain Taylor Brown (Autrement). Pendant la guerre de Sécession, Callum un jeune orphelin de 15 ans, excellent cavalier, est enrôlé par un déserteur, comme voleur de chevaux. Ava a dix-sept ans, enceinte elle est seule au monde. Tous deux décident de fuir ensemble la bande de mercenaires qui les poursuit. C’est un parcours haletant, romanesque avec des descriptions très fortes. Entre amour et ultra-violence, on est comme dans un film.
Quel est le livre que vous défendez depuis toujours avec ferveur ?
« Lettre d’une inconnue » de Stefan Zweig (Livre de poche). Une nouvelle que j’ai lue et relue et qui me bouleverse à chaque fois. Comment cette femme a pu rester tout au long de sa vie, bloquée dans une situation amoureuse, où l’homme qu’elle aime et dont elle a eu un enfant ne la reconnaît pas ? C’est absolument dingue de subir ainsi un tel désamour et s’y enferrer. Ce texte est vertigineux.
Quel livre vous êtes-vous promis de lire ?
Un jour, peut-être aurai-je enfin le temps de me plonger dans les mille pages de « 2066 » de l’écrivain chilien Roberto Bolaño (Christian Bourgois) . Mais je suis aussi très tentée par « Et quelquefois j’ai comme une grande idée » (Éditions Monsieur Toussaint Louverture), le pavé qui se déroule dans une tribu de bûcherons en Oregon et qui est l’œuvre de l’auteur de « Vol au-dessus d’un nid de coucou », Ken Kesey.
Une brève de librairie :
Le fait d’avoir les enfants qui grandissent ici crée de jolis moments. Quand par exemple, j’anime des rencontres le soir avec des auteurs et que Maxime mon fils descend l’escalier pour me dire au beau milieu d’une intervention « Bonne nuit maman », ça provoque une situation inattendue, mais pleine de charme.
Propos recueillis par Brigitte Lannaud Levy
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Librairie Les Lisières
32 Grand Place
59100 Roubaix
03.20.73.29.29