Illustration Brigitte Lannaud Levy
« Respirer l’air d’ailleurs et se confronter à l’expérience des confrères », voilà le crédo de Stéphane Emond, libraire chevronné qui a créé « Les saisons » en 2004, juste derrière les quais, sur le vieux port de La Rochelle. Il n’aime rien tant que le collectif. D’où son fort investissement dans les organismes interprofessionnels, que ce soit au Syndicat de la Librairie Française ou au sein du groupement de librairies Inititiales, dont fait partie son enseigne et qu’il a présidé. Lorsqu’on lui demande quelle est saspécificité , il vous répond : « Les bons livres ! ». Non pas qu’il montre du doigt les mauvais, mais il mesure toute la force de prescription que peut avoir sa profession pour défendre la littérature de qualité. Et il est vrai, comme il le fait remarquer, que le succès d’un livre venu de nulle part, passe le plus souvent dans un premier temps par les libraires, même si les medias prennent le relais par la suite. La librairie « Les saisons » doit son nom au chef d’œuvre du très regretté Maurice Pons, disparu l’an dernier. Il était présent pour l’inauguration des lieux et une indéfectible amitié s’est nouée entre les deux hommes pendant la décennie passée.
Quel roman français nous recommandez-vous de lire ?
« L’eau mate » de Bernard Manciet (L’Escampette). C’est le roman posthume et autobiographique d’un immense poète occitan, fervent défenseur de la langue gasconne. Cela raconte la fuite d’un homme face à une menace que l’on ignore. Au fur et à mesure il fait corps avec les végétaux, les animaux, dans une harmonie et une paix étonnantes. Publié pour la première fois en 2007 par les Éditions l’Escampette, ce texte va ressortir en coédition avec la Librairie Les Saisons.
Et du côté de la littérature étrangère, que nous conseillez –vous de lire ?
Le livre de Jean Hegland « Dans la forêt » traduit de l’anglais par Josette Chicheportiche. (Gallmeister). Inédit en France, ce roman nous arrive vingt ans après sa publication aux Etats-Unis où il a rencontré un énorme succès. Dans une atmosphère post-apocalyptique, très intimiste, on suit deux sœurs recluses dans une forêt alors que le pays est en proie à une menace qu’on ignore. Elles organisent leur survie tandis que leurs vivres s’amenuisent autour de leurs passions : l’une pour la danse, l’autre pour l’écriture. La nature est omniprésente, elle prodigue ses bienfaits et va faire corps avec elles deux.
Quel est le livre que vous vous êtes promis de lire ?
La nouvelle traduction de « La Montagne magique » de Thomas Mann publiée par Fayard. C’est l’un des romans majeurs du vingtième siècle qui radiographie la décadence d’une société. Des années que je tourne autour sans l’avoir lu. J’ai très envie de m’y plonger.
Quel premier roman vous a marqué récemment ?
« La maison de la gaité » de Denis Montebello (Les Éditions du temps qu’il fait). Un auteur qui s’intéresse au langage et aux lieux interlopes. Entre 1937 et 1952, un père et son fils à Chérac en Charente Maritime ont recueilli des millions de cassons de vaisselle dont ils ont revêtu entièrement une maison, sous forme de mosaïques. L’auteur s’est passionné pour cette œuvre poétique, qui a quelque chose du « goût des gens simples », des artistes du dimanche. C’est un livre émouvant sur une France qui s’est enfuie, celle des humbles aux jardins oubliés.
Quel est le livre le plus emblématique de la librairie que vous défendez depuis toujours avec ferveur ?
Bien évidemment « Les saisons » de Maurice Pons. J’ai une folle passion pour ce texte et elle ne m’a jamais quittée. C’est une œuvre inouïe, d’une force exceptionnelle. Un véritable diamant noir de la littérature. Je le vends par cinquantaine d’exemplaires tous les ans.
Une brève de librairie
En 2004, lors de l’inauguration de la librairie, Maurice Pons est venu pour 48 heures. Il était tellement discret que pendant la soirée je ne le trouvais pas, il était dans une petite pièce, tout au fond, en train de lire. Cette anecdote raconte exactement qui il est : un écrivain modeste, dilettante, vagabond et doux rêveur. Un discret parmi les discrets.
Propos recueillis par Brigitte Lannaud Levy
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Les Saisons
21 rue Saint Nicolas
17000 La Rochelle
05 46 37 64 18