John Berger
B42
mars 2014
168 p.  22 €
 
 
 

Librairie Petite Egypte


Illustration de Brigitte Lannaud Levy

D’un vert acidulé que l’on remarque de loin, elle vient d’éclore le printemps dernier au cœur du Sentier. Sa devanture graphique avec un très gros « Librairie » se repère aussi efficacement que celle des pharmacies. C’est voulu. C’est une vraie chance pour les habitants du quartier, puisque c’est la seule librairie généraliste indépendante du deuxième arrondissement depuis la fermeture de « L’Arbre à lettres » il y a dix ans. « L’envie de montrer le monde entier dans un petit espace », tel était le rêve d’Alexis Argyroglo, libraire ouvert et exigeant qui a fait ses armes à la librairie Flammarion du Centre Georges Pompidou. Chose faite avec la création de cette librairie dont l’espace sur deux étages n’est pas si petit que cela, 100 m2. Comme elle est située à l’emplacement de l’ancienne Cour des Miracles à Paris où les noms des rues célèbrent  le « retour d’Égypte » de Bonaparte – rue du Nil, d’Aboukir, du Caire ou d’Alexandrie – le nom de la librairie est donc tout trouvé dans cette Egyptomanie chimérique, ce sera « Petite Égypte ». Mais ne vous y méprenez pas, cela reste une librairie généraliste. À ceci près qu’elle se veut « orientée », c’est à dire tournée vers l’Orient et que dans son approche Alexis Argyroglo met en œuvre un classement d’ouvrages assez original par thématiques et non par genres pour « s’adresser à tous, mais sur des territoires variés ».  Autre particularité, il souhaite faire de ce lieu un espace de création avec l’accueil en résidence sur plusieurs mois, d’auteurs qui partageront  leur processus créatif avec les lecteurs et avec  la communauté d’écrivains qui les entoure. La première résidente est Frédérique Aït-Touati  qui vient de publier « Contes de la lune. Essai sur la fiction et la science modernes » (Gallimard).  Vous l’avez compris, rencontre avec un jeune libraire trentenaire d’un nouveau type qui nous livre ses exigeants conseils de lecture.

En littérature française quel votre coup de cœur du moment ?
« Que faire des classes moyennes ?» de Nathalie Quintane (P.O.L) . C’est l’un de mes auteurs préférés. Elle écrit des livres inclassables, proches des essais, mais toujours portés par une prose poétique puissante. Dans son dernier ouvrage, elle se pose la question des inégalités sociales en France à travers le ventre mou que constituent les classes moyennes. C’est un livre court, très mordant, où elle appelle un chat un chat, ce qui est rare sur ce type de sujet. C’est un auteur qui performe littéralement ses textes.

Et du côté des étrangers ?
Je vais faire un pas de côté et vous parler d’un traducteur et non d’un auteur, car j’aime le thème de la transmission. Bernard Hoepffner est un formidable passeur-traducteur. Ses deux derniers livres traduits de l’américain sont  des sommets. « Contrenarration » de John Keene (Cambourakis)   et « Le merveilleux saloon de McSorley », récits New-Yorkais » de Joseph B.Mitchell (Diaphanes). Le premier texte revisite l’histoire et la littérature sous le prisme d’un regard afro-américain, ce qui nous fait changer de point de vue littéralement. Le second est un recueil de récits des années trente-cinquante, une série de portraits  de personnages originaux et de situations totalement improbables sous la plume d’un reporter du New Yorker devenu culte.

Un premier roman a-t-il retenu plus particulièrement votre attention ?
Ce sera un premier recueil poétique, « Simurgh & Simorgh » de Gabriel Gauthier (Théâtre Typographique). C’est un livre sur la traduction, où la poésie se glisse entre la page de gauche en anglais composée d’un petit bloc et la page de droite en français où l’auteur se joue de la phonétique,  des homonymies. Il faut embrasser la double page d’un seul coup d’œil et à voix haute. On compare et on s’amuse des deux langues, de ce qu’elles perdent ou gagnent l’une de l’autre entre le pli des deux pages, entre le sens et le son.

Quel est le livre que vous défendez depuis toujours avec ferveur ?
« Voir le voir » de John Berger (Editions B42). C’est la réédition d’un ouvrage publié en 1972 d’après une série d’émissions de la BBC, « Ways of Seeing ». Il a été maquetté par l’immense graphiste Richard Hollis. C’est la meilleure introduction qui soit à l’histoire de l’art. Son ambition, c’est de démystifier le rapport aux œuvres du passé. Savoir quoi regarder et comment. Il peut plaire aux néophytes comme aux lecteurs avisés.  Un livre politique et démocratique qui permet de se réapproprier les œuvres débarrassées de leur intimidante aura et de la puissance de leur sacralisation.

Une brève de librairie
Compte tenu de l’ouverture récente de la librairie, je n’ai pas une grosse épaisseur de souvenirs. Mais souvent de par son nom « Petite Égypte », les gens pensent que c’est une librairie sur le pays du même nom, thème qui plait beaucoup. Il y a aussi ceux qui nous imaginent en librairie ésotérique et nous réclament des écrits hermétiques ou un pendule… J’aime bien ces malentendus. Notre nom porteur d’un imaginaire riche, c’est un peu comme  l’objet MacGuffin  cher à Alfred Hitckock dans ses films.  Il est mystérieux, attire l’attention et devient le prétexte au déroulement de l’histoire.

Propos recueillis par Brigitte Lannaud Levy
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Librairie Petite Égypte
35 rue des petits carreaux
75002 Paris
01 47 03 34 30

 
 
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