Le Corbusier 1930 - 2020 Polémiques, mémoire et histoire
Sous la direction de Rémi Baudouï

Avec la collabration scientifique d'Arnaud Dercelles
Tallandier
février 2020
382 p.  20,90 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Le Corbusier, la modernité et l’histoire

En 2015 on célébrait les 50 ans de la mort de Le Corbusier et Le Centre Pompidou organisait une grande exposition autour de celui qui est considéré comme l’un des plus grands architectes du XXe siècle.  La fête fut gâchée par la parution d’ouvrages mettant en avant un passé honteux qui aurait vu l’architecte proche des milieux eugénistes, faire montre d’antisémitisme, soutenir le fascisme de Mussolini et souhaiter la victoire d’Hitler. Bref un salaud de la plus belle eau au talent, qui plus est, discutable. Que l’on se place sur le terrain des idées, de l’idéologie ou de l’art, tout serait à jeter.

La charge était si forte que la fondation Le Corbusier organisa un colloque pour replacer la vie, les engagements et l’œuvre de Le Corbusier dans leur contexte. Les différentes contributions établies alors ont donné lieu à un ouvrage « Le Corbusier 1930-2020. Polémiques, mémoire et histoire».

D’habitude ce genre d’ouvrage est aussi rébarbatif qu’abscons. Pour une fois ce n’est pas le cas et c’est même tout le contraire. Les 17 contributeurs venus de tous horizons, historiens, politistes, architectes ou philosophes, apportent un éclairage passionnant sur le parcours de l’architecte.

Oui Le Corbusier a participé pleinement à la vie intellectuelle de ces années ou l’obsession d’un homme meilleur dans un monde meilleur occupait tous les esprits et nourrissait tous les débats, de Moscou à Rome en passant par Berlin et Paris. Oui, il a été proche du Dr. Carrel, prix Nobel de médecine, mais non il n’a jamais défendu de thèse eugéniste. Oui il a été antiparlementaire et oui il a tenté, sa carrière durant, d’être proche des pouvoirs successifs pour décrocher les marchés publics qui sont le rêve de la plupart des architectes. Et avant d’aller à Vichy, il avait tenté sa chance auprès de Léon Blum et du Front Populaire.
Arrêtons-nous sur Vichy. Il y passe moins de deux ans, en repart peu après l’arrivée de Laval, sans aucune commande (et sans Francisque), affichant le plus grand mépris pour une clique conservatrice et réactionnaire aux antipodes de ce qu’il est. Il n’est d’ailleurs même pas membre de l’Ordre des architectes créé à l’automne 1940, ce qui d’ailleurs lui sera fort utile à la Libération.

Quant à l’antisémitisme, aucun propos public. Jamais. Ni dans sa revue « L’esprit nouveau », ni ailleurs, ce qui fait dire à Jean-Louis Cohen (architecte, historien et enseignant) dans un texte sensible « Il est indéniable que Le Corbusier a été brièvement perméable aux discours antisémites (…) Rien de tout cela ne justifie cependant à mes yeux les campagnes (…) dans lesquelles les accusations d’antisémitisme servent de couverture commode à une haine sans borne pour l’homme, son urbanisme et son architecture ».

Alors justement pourquoi tant de haine ? Il faut arriver à la fin de l’ouvrage et aux articles de François Warin et d’Antoine Picon pour avoir la réponse. C’est la confiance absolue de l’architecte dans la technique qui change notre destin et plus largement sa défense d’une vision utopique de la modernité qui est insupportable à beaucoup. Pourtant la place qu’il donne à la nature, la frugalité des moyens et le radicalisme des formes ont quelque chose de « revigorant » pour reprendre le terme d’Antoine Picon pour qui « l’œuvre de Le Corbusier nous parle d’un optimisme  avec lequel il est urgent de renouer.»

Ce livre est utile. En apportant sa part de vérité, il désarme les chantres de la bienpensance qui, juchés sur les miradors de leurs certitudes, surveillent d’un œil mauvais ceux qui se laissent prendre par l’intelligence et la modernité sidérante de la Cité radieuse à Marseille, l’espérance de la main ouverte à Chandigarh, la simplicité du cabanon de Roquebrune et bouleverser par la douceur lumineuse de Ronchamp.

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