« Le jour de la naissance de mon fils, j’ai décidé d’aller bien, pour lui, pour nous, pour ne pas encombrer le monde avec un pessimisme de plus. Quelques mois plus tard, des attentats ont endeuillé notre pays. En meurtrissant la chair des uns, les terroristes visaient le cœur de tous. Mes quarante ans approchaient. J’en étais à la moitié de ma vie, je venais d’en créer une et la mort rôdait. L’Enfant articulait ses premières syllabes avec le mot guerre en fond sonore. »
Comment élever son enfant dans une période minée par le terrorisme ? Voilà la question qui occupe l’auteur tout au long de ce récit. Notre période est-elle propice à l’épanouissement d’un enfant ?
Quelques mois après la naissance de l’Enfant, des terroristes attaquent Charlie Hebdo. On ne parle plus que de ce massacre, de la folie meurtrière qui nie la liberté d’expression et qui se rend jusque dans les locaux d’un journal pour punir les impies qui ont osé dessiner le Prophète. La France se rassemble, défile pour montrer qu’elle reste debout. La peur est présente dans toutes les conversations, entre amis, au travail, partout.
Julien Blanc-Gras, pour son fils, pour lui, décide de ne pas se laisser aller à cette menace qui plane, qui frappe au hasard. Notre époque est-elle si terrible ? Des études montrent que nous vivons plus longtemps et dans de meilleures conditions que nos parents et nos grands-parents. L’auteur se refuse à la facilité du « c’était mieux avant ». Quoi de mieux pour enchanter l’instant que de regarder grandir son enfant, de l’accompagner dans ses premiers pas ? L’Enfant est encore vierge de préjugés, il n’est pas encore conditionné par la peur de l’autre.
« À la crèche, les comptes rendus quotidiens d’Amina accréditaient les thèses des universitaires américains. Notre fils se jetait sur ses camarades pour les couvrir de câlins au risque de les étouffer. Il se montrait particulièrement affectueux avec les plus petits que lui. Il est démontré que les nourrissons, dès les premiers jours, pleurent en entendant d’autres nourrissons pleurer. Sans céder à un rousseauisme neuneu, on peut affirmer qu’un élan solidaire nous anime dès le départ. Les bébés sont des gens bien. »
Les politiques nous disent que la France est en guerre. Cette réflexion conduit l’auteur à se replonger dans le journal de guerre de son grand-père maternel puis dans les lettres qu’il envoyait à sa famille lorsqu’il était prisonnier. Puis il enquête sur le passé de son grand-père paternel et met la main sur des rapports de mission de l’adjudant Blanc-Gras. C’est édifiant. Les deux périodes n’ont rien à voir. Nos grands-parents vivaient dans un monde où les combats étaient permanents, ou les bombes éclataient et les balles sifflaient en permanence. Ils subissaient l’occupation, la détention. Aujourd’hui, il nous faut faire face à des attaques sporadiques qui créent la panique et causent, certes, de nombreux morts, mais rien en comparaison de la boucherie organisée qu’est une guerre.
« Nos générations préservées, dans une ellipse du tragique, n’ont pas subi la guerre sur leur territoire. Engourdie par le confort, notre capacité à la résistance s’en trouve amoindrie. Le vécu de nos prédécesseurs nous semble insupportable, scandaleux en comparaison. Et quand la violence ressurgit, sa longue absence démultiplie son impact. »
Dans ce récit, Julien Blanc Gras relativise la dangerosité de notre quotidien. Pour son fils, pour lui, pour nous tous, il cherche à réenchanter le quotidien. Pour vivre dans cette période agitée, mais pas pire qu’une autre, le maître mot est la bienveillance. Pas une bienveillance naïve et béate, non, juste celle qui nous permet de nous rendre compte que le monde dans lequel nous vivons n’est pas si terrible que ça, que l’autre n’est pas forcément une menace, pour pouvoir avancer, pour pouvoir éduquer nos enfants le mieux possible. Il le fait avec tendresse et beaucoup d’humour. Un livre passionnant et salutaire.
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« Quand on ne peut pas ordonner le chaos, il faut apprendre à vivre avec. »