J’ai chaussé mes chaussures de marche, pris le gros bâton pour suivre l’auteur dans le récit de son parcours le temps d’une estive.
Apprenti-berger, il doit se débrouiller tout seul « Dans le troupeau, je suis dieu. » Pan ? Ce serait bien nommé puisqu’il est devenu le dieu des bergers et pâtres.
« Que fait un troupeau lorsqu’il est formé ? Il se déforme. Il faut le reformer. »
Sur ce minuscule lopin de terre, j’expérimente la vie d’une petite société de mille membres, mille machines à vie qui consomment de l’eau, de l’herbe, produisent de la viande et des agneaux. Au sein de cette modeste société, j’ai l’arrogance d’un Prométhée qui croit dominer la nature et tire, à la place d’un autre, les ficelles de marionnettes vivantes. »
L’arrogance du début va vite laisser place à la nervosité. Le narrateur, malhabile avec les chiens apprend, sur le tas, son dur métier, tantôt dans la chaleur, la pluie, la neige, le froid.
Petit à petit, le métier rentre. Le narrateur, plus souple se fait accepter des chiens qui le secondent et l’accompagnent.
La vie est rude, il faut aimer la solitude et la vie spartiate ponctuées de rencontres ou de descentes vers le café, histoire de causer avec les habitants du village.
« Claquer sa paie en deux ou trois jours en payant des tournées, le plaisir du marin. Comme eux, descendre en ville, faire le tour des bistrots, revenir malade, éreinté, ruiné »
Il faut bien que la solitude s’oublie que le berger se noie dans le monde, s’enivre autant d’alcool que de paroles, bruit, visages
Blaise Hofmann prend des notes, écrit, surtout lorsqu’il pleut « L’écriture me tient éveillé, me donne une contenance (ce bouquin est un bâton de berger sculpté par temps de pluie). »
Le boulot n’est pas que contemplatif, il peut être répétitif, sauf lorsqu’il faut tondre les bêtes «Quatre cent quarante-sept bêtes tondues, j’ai de la merde jusqu’aux épaules, le dos d’un octogénaires, les pantalons en guenille, mais le sourire jusque-là, parce que le tondeur a un drôle d’humour. »
Les pensées, les auteurs, l’imagination sont ses compagnons de solitude, l’écriture sa compagne. Devant tant de beauté, Hofmann peine à trouver les mots
« Le froid se tolère davantage lorsqu’il y a de belles lumières. Il donne envie de peindre, de faire de la musique, de se donner à quelque chose de corporel, de graver sur un bâton les formes qui viennent à l’esprit. »
Les mots n’existent plus de la même façon. Leurs concepts rigoureux sont trop explicites. On ignore comment rendre l’expérience sensible, comment décrire cette absence de formes, dire l’impression de froid, de joie et de fatigue. On oublie tout ce qu’on a lu, on perd toute notion linguistique et on jouit, trempé, usé et enchanté, des approximations du soleil et de la brume. »
La saison se termine, il faut déclôturer, tout ranger, ne pas oublier la mort-aux-rats. L’estive vous change l’homme alors, il redescend dans la vallée à pied, en prenant son temps
« Ces mains calleuses sont les miennes. Le miroir me surprendra. J’ai bonne mine à jouer ainsi avec ma barbe. Mon identité vacille. »
Blaise Hofmann se livre à des réflexions sur les Alpes qui se dysneylandent, l’estive subventionnée, la société et offre un doux moment de lecture. J’aimais le retrouver chaque soir, pas pour en lire des pages et des pages, non, savourer, prendre le temps de déguster ses phrases, écouter ses réflexions, regarder vivre le troupeau, s’activer les chiens, admirer le paysage.
Un livre dont je sors calme et sereine.
Livre lu dans le cadre de la Voie des Indés concoctée par Libfly avec le partenariat des éditeurs indépendants dont Les éditions ZOE, maison d’éditions suisse, que je découvre.
« L’ombre des nuages les recouvre d’un drap que le vent retire lentement ».
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