Qu’est-ce que c’est, exactement, la discrétion ?
Ces 148 pages tentent d’en cerner le(s) sens, à travers ceux qui l’ont déjà évoquée, en philosophie, littérature ou religion(s), et c’est plutôt enthousiasmant. Si la plume est claire, le contenu se révèle parfois ardu, pourtant on se sent accompagné dans la réflexion qu’on enclenche et paradoxalement on s’amuse en lisant ce texte; il y a une assise de gaieté qui ne se dément jamais, une recherche patiente qui éclaire au fur et à mesure (et n’hésite jamais à se paraphraser pour aider à la compréhension) le côté lumineux de la discrétion.
Un exemple, donné en introduction, m’a aidée à conceptualiser l’ensemble (je résume, en déformant sans aucun doute, c’est « ma » vision du truc) : imaginez que vous receviez des amis, et que vous vous absentiez un moment pour aller chercher un plat; quand vous revenez, il sont en grande discussion, vous reprenez votre place et les écoutez pour savoir de quoi ils parlent; vous êtes pleinement là , content de l’être, l’ambiance est bonne et vous les trouvez beaux, spirituels, intéressants, sans ressentir le besoin à ce moment précis d’intervenir, puisque vous ne savez pas encore de quoi ils parlent. Vous êtes alors discret. C’est très fugace, car bientôt vous reprenez part à la conversation, une fois que vous savez sur quoi elle porte et que vous avez quelque chose à dire (ou pas, simplement vous êtes avec eux et vous avez envie de participer aussi). La discrétion – et nous le voyons pleinement tout au long de ces pages – n’est ni une vertu, une science ou un trait de caractère, mais un art, une disponibilité totalement ouverte sur le monde (les autres) (et donc pas un repli sur soi) et elle n’est pleine que si elle est discontinue, c’est-à -dire qu’elle ne dure pas.
« Comment, concrètement, préserver l’expérience lumineuse de la discrétion des deux gouffres pathologiques qui la bordent – d’un côté la dissolution hémorragique de l’ego, de l’autre l’enferment narcissique ? (…) Pour répondre à de telles questions, le geste de constitution d’un art de la discrétion est nécessairement appelé à se désagréger en une myriade de gestes ténus, en partie contradictoires, en partie non articulables. C’est pourquoi il ne peut s’agir que d’un art et non d’une science.«
Passionnant (notamment un passage sur la dualité avoir/être, qui ouvre sur une troisième voie).