Laurence Cossé fait partie de mes auteurs préférés, c’est dire si j’avais hâte de découvrir ce livre, sans en avoir lu la 4ème de couverture. Ici, l’auteur raconte l’historique de la Grande Arche de la Défense. Quelle épopée politico-architecturale ! Tout commence le 25 mai 1983. Johan Otto von Spreckelsen, a gagné le concours d’architecture pour le projet colossal « Tête de la Défense ». Le problème c’est qu’il n’a été confronté, ni au gigantisme, ni aux mœurs françaises et qu’il ira de déconvenues en déconvenues. Passer de l’artisanat (construction d’églises) à l’industriel et la haute technologie échelle XXXL ne s’improvise pas. Il l’apprendra à ses dépens. « A la Défense, il est écrasé. Il va être écrasé. Son œuvre menace de l’écraser. » Cet homme qui parait un peu rigide fera mettre, au sens littéral du terme, Mitterrand à genoux ! Imaginez la scène et la moue médusée de son entourage. Un bouquin captivant. Laurence Cossé a travaillé son sujet. Je sens, derrière ses phrases, des monceaux d’archives décryptées, des montagnes, infranchissables pour moi, de données techniques déchiffrées. « La littérature fait courir des risques dont l’auteur n’avait pas idée avant de s’y lancer, sans quoi il aurait préféré l’ethnographie ou le saut à la perche. Les efforts de documentation auxquels j’ai dû m’astreindre pour écrire sans trop d’inepties les paragraphes précédents ont réduit en poussière un des piliers de mon équilibre psychique » Laurence Cossé a su mettre les doigts là où ça fait mal ; Les manœuvres économico-politiciennes, l’ambition démesurée de certains comme le « faucon pèlerin ». L’incompréhension grandissante entre Johan Otto von Spreckelsen, tout bâti de la rigueur scandinave et la maîtrise d’œuvre française à plusieurs têtes qui avance, recule, … Toutes ces chicaneries, les modifications des plans, des matériaux ont eu raison de l’architecte qui a démissionné. Il est vrai que, dès départ, les dés étaient pipés : on ne marie par l’eau et le feu. L’aventure n’est pourtant pas terminée. Les veilleurs que sont Lion, Dauge et Subileau, présents dès les débuts, veillent sur la pérennité de l’édifice. Subileau le dit « Ce bâtiment est maudit. On a engendré un monstre. C’est un monument d’une sérénité absolue mais il reste marqué par son enfantement terrible. Il a été laissé en déshérence ». Quant à Andreu, il « est le premier à le regretter, l’édifice en tant qu’édifice reste un monument vide : c’est un ouvrage remarquable mais sans fonction forte ni sens. « Un objet pur, quoi ». » Laurence Cossé est arrivée à faire de cette aventure une véritable saga, un roman à suspens. La Grande Arche n’est absolument pas roborative malgré le sujet. De petites piques ironiques, caustiques, des digressions littéraires, étymologiques (par exemple sur l’arc) ou ethnologiques (le faucon pèlerin) émaillent le livre. « Si l’Arche est ce qu’elle est, cette Porte de Paris si puissante et si singulière, c’est que Spreckelsen était inexpérimenté, déraisonnable, non conforme et d’une folle présomption. Les concours ouverts créaient des appels d’air, des appels de neuf, de risque. Ils donnaient sa chance à Icare ». Ainsi se termine le livre. Cette époque n’existe plus, les nouveaux projets sont avant tout faisables et sécuritaires, le rêve n’est plus primordial. Changement d’époque ! Mais tout n’est pas terminé pour l’Arche de la Défense. Espérons que des slogans publicitaires ne viendront pas abîmer ce beau monument et que la restauration pourra se faire sans l’abîmer. Un grand Laurence Cossé, un coup de cœur pour moi.