Le livre de la jongle
Stéphane de Groodt

Plon
novembre 2015
214 p.  14 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
nuit blanche

Le livre de la jongle

On retrouve avec grand plaisir l’auteur de Voyages en absurdie et Retour en absurdie. En choisissant cette fois de revisiter une belle collection d’expression françaises, l’humoriste peut laisser une nouvelle courir son imagination fertile et prouve que la Belgique compte sûrement les plus talentueux jongleurs de mots du moment. Après les grammairiens et philologues Joseph Hanse, Maurice Grevisse ou encore André Goosse qui ont décortiqué de façon très sérieuse (n’oublie pas ton Grevisse !) les subtilités du français, on a vu éclore outre-Quiévrain une formidable génération d’humoristes, dignes héritiers de Raymond Devos, tels que François Damiens et Benoît Poelvoorde du coté du cinéma, Philippe Geluck, Charline Vanhoenacker (qui fait les beaux jours de France Inter) et Stéphane de Groodt du côté des humoristes, de ceux qui ament à la fois jouer avec les mots et les faire chanter.
Pour ce livre de la jongle, l’acrobate du langage n’a pas hésité à mettre à contribution toute une équipe : « J’avais fait une liste d’expressions. Je l’ai passée en revue et en les lisant, parfois, l’inspiration venait vite. On a travaillé avec mon co-auteur, Christophe Debacq. On a aménagé les choses, on a fait un tri. Et, quand le travail est fait, je demande à ma femme de lire l’ouvrage à voix haute, près de moi. Comme ça, je peux m’assurer de la sonorité des mots également. »*
Le résultat est un savoureux mélange d’érudition et de jeux de mots laids. Mais il sera beaucoup pardonné à celui qui parvient à nous dérider en cette période troublée, aussi bien à Paris qu’à Bruxelles.
Alors amusons-nous… à décortiquer la technique De Groodt, en prenant l’exemple de la page 40 (voir extrait ci-dessous). Il utilise d’abord l’association phonétique, en rapprochant quartier de Cartier, ce qui lui permet de personnifier son propos. Voilà donc un navigateur en charge de l’expression. Mais le sens de la digression va permettre ensuite à l’auteur d’associer Cartier (redevenu phonétiquement quartier) à Orange (la ville pas le fruit) avant de nous ramener à l’explorateur en rappelant qu’il était originaire de Saint-Malo. Ce qui lui permet à nouveau un glissement sémantique vers le malouin, ce qui est très malin. Reprenant l’association d’idées, il s’engage sur les rives du Saint-Laurent (il aurait même pu préciser rive gauche pour hommes) pour passer à Yves Saint-Laurent. Peut être aurait-il pu s’éviter de faire intervenir ici Jacques Caddy, personnage qui n’existe que pour le jeu de mot mais qu’on ne connaît ni des lèvres, ni des dents. Mais nous voilà arrivé au terme du voyage : le grand découvreur était un homme libre. Voilà comment un Cartier libre toujours chérira la mer, à moins que par une dernière pirouette, il soit malade en bateau. Mais n’était ce pas ce que nous demandions de ce livre : nous faire mener en bateau. Alors bon vent !
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coup de coeur

Faut-il encore présenter Stéphane De Groodt ? Je l’ai découvert à l’occasion de ses chroniques sur France Inter il y a quelques années et j’avais été bluffé par sa virtuosité qui faisait passer un travail colossal pour une évidence. Alliant jeux permanents sur les mots pour les couper, les casser, les approximater, les tordre, Stéphane De Groodt, dans un rythme endiablé de diction pourtant claire, livrait des chroniques à plusieurs niveaux de compréhension. Le passage des chroniques à l’écrit permettait d’ailleurs de mieux appréhender certaines approximations qui oralement n’étaient pas forcément évidentes.

Ici, Stéphane De Groodt prend un peu plus de deux cents expressions françaises pour en donner une définition forcément tordue. Et le bougre y arrive en usant de sa technique habituelle et en passant par des chemins à coups sur détournés mais souvent surprenants.

Quelques petits exemples :
« Faire un carton » : c’est ce qui arrive généralement quand un spectacle déménage.
« Arrondir les angles » : un angle est un coin. Deux angles, sont des coins-coins. Arrondir les angles, c’est donc moduler la forme d’un objet en bec de canard, ou quelque chose dans le genre ou dans le Gers si ce sont des oies.
« Maigre comme un clou » : faut être marteau pour avoir la minceur comme obsession, car en général ça tourne au vice.
« Vendre son âme au diable » : déjà, c’est une Faust bonne idée. Quitte à faire des affaires pas très catholiques, pour éviter de tirer le diable par la queue, il est plus judicieux de louer le Seigneur.
« Ca va comme un lundi » : expression tennistique généralement utilisée en conférence de presse entre cinq et set par les joueurs épuisés après dix manches.

Je m’arrête là, vous aurez compris le principe, vous connaissez l’oiseau. Alors c’est forcément inégal sur la longueur (plus de 200 expressions qu’on vous a dit qu’il reprenait, dans le lot y a des faiblesses, c’est humain), c’est parfois très court et un peu frustrant, surtout quand tu as grosso modo une expression par page et de-ci de-là une définition de deux lignes…), mais c’est étonnant, bluffant, drôle, bref tout De Groodt !

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