Il y a pratiquement 3 ans, un typhon dévastait les Philippines, emportant tout, ou presque, sur son passage. Ce qui ne devait être « qu’un » typhon « classique » s’est révélé être une vague gigantesque et meurtrière. « Les mains lâchées » racontent l’histoire d’une journaliste française, sur place, au moment du drame. Le tsunami n’a pas emporté que des maisons, que des arbres, que des choses matérielles, que des être humains, il a aussi balayé des âmes, des consciences. Les victimes se raccrochaient, raconte cette journaliste, à des éléments tangibles pour que, en vain, leur raison ne défaille pas. Mais face à la destruction aveugle de la nature par la nature, il n’y a rien qui permette à la raison de tenir bon : tout le monde finit par lâcher prise à un moment ou un autre. Anaïs Llobet part ainsi à la dérive, marchant dans une lagune artificiellement créée par le tsunami, recouvrant, cachant une misère d’autant plus visible qu’il ne reste plus qu’elle, en dehors d’un vide incommensurable. Anaïs Llobet décrit admirablement ces sentiments mêlés de révolte, de désolation, d’impuissance en mêlant à son histoire celle des témoins qu’elle a pu croiser, elle-même témoin privilégié d’une histoire qu’elle aura mis du temps à pouvoir décrire, le temps de lâcher suffisamment de leste, de prendre assez de recul. Elle est tiraillée entre son devoir de journaliste et de témoin et de victime, autant morale que physique de la catastrophe. C’est un peu comme si le rythme du récit et le style d’Anaïs Llobet épousaient cette dualité issue de la nécessité de raconter en flot continu cette histoire et l’indispensable recul nécessaire pour écrire un récit qui ne verse pas uniquement dans le pathos. Il y a une sorte de fatalité qui règne dans cette région du globe particulièrement soumise aux typhons, tsunami et autres colères météorologiques… Il y a aussi une force engendrée par cette répétibilité des malheurs chez les philippins dont Anaïs Llobet, et ce sera mon seul bémol, ne parle pas assez, se concentrant sur l’immédiat après-tsunami sans aller jusqu’à parler de ce qui se passe encore après, une fois que les eaux se sont retirées, une fois que les larmes auront séché, que les âmes se seront taries, une fois de plus, une fois encore avant la prochaine.