critique de "Les mains lâchées", dernier livre de Anaïs LLOBET - onlalu
   
 
 
 
 

Les mains lâchées
Anaïs LLOBET

Plon
Août 2016
160 p.  16 €
ebook avec DRM 10,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

A fleur d’eau

Il y a pratiquement 3 ans, un typhon dévastait les Philippines, emportant tout, ou presque, sur son passage. Ce qui ne devait être « qu’un » typhon « classique » s’est révélé être une vague gigantesque et meurtrière. « Les mains lâchées » racontent l’histoire d’une journaliste française, sur place, au moment du drame. Le tsunami n’a pas emporté que des maisons, que des arbres, que des choses matérielles, que des être humains, il a aussi balayé des âmes, des consciences. Les victimes se raccrochaient, raconte cette journaliste, à des éléments tangibles pour que, en vain, leur raison ne défaille pas. Mais face à la destruction aveugle de la nature par la nature, il n’y a rien qui permette à la raison de tenir bon : tout le monde finit par lâcher prise à un moment ou un autre. Anaïs Llobet part ainsi à la dérive, marchant dans une lagune artificiellement créée par le tsunami, recouvrant, cachant une misère d’autant plus visible qu’il ne reste plus qu’elle, en dehors d’un vide incommensurable. Anaïs Llobet décrit admirablement ces sentiments mêlés de révolte, de désolation, d’impuissance en mêlant à son histoire celle des témoins qu’elle a pu croiser, elle-même témoin privilégié d’une histoire qu’elle aura mis du temps à pouvoir décrire, le temps de lâcher suffisamment de leste, de prendre assez de recul. Elle est tiraillée entre son devoir de journaliste et de témoin et de victime, autant morale que physique de la catastrophe. C’est un peu comme si le rythme du récit et le style d’Anaïs Llobet épousaient cette dualité issue de la nécessité de raconter en flot continu cette histoire et l’indispensable recul nécessaire pour écrire un récit qui ne verse pas uniquement dans le pathos. Il y a une sorte de fatalité qui règne dans cette région du globe particulièrement soumise aux typhons, tsunami et autres colères météorologiques… Il y a aussi une force engendrée par cette répétibilité des malheurs chez les philippins dont Anaïs Llobet, et ce sera mon seul bémol, ne parle pas assez, se concentrant sur l’immédiat après-tsunami sans aller jusqu’à parler de ce qui se passe encore après, une fois que les eaux se sont retirées, une fois que les larmes auront séché, que les âmes se seront taries, une fois de plus, une fois encore avant la prochaine.

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Au cœur du typhon Yolanda

Certains livres retiennent votre attention tout simplement par le thème qu’ils abordent. C’est le cas de ce premier roman qui raconte le typhon Yolanda qui a frappé les Philippines en 2013 et ses conséquences. S’il m’a autant touché, c’est parce que la fameuse loi journalistique du nombre de morts en fonction de la distance de l’événement n’a pas cours pour moi. En effet, une amie était sur place pour un reportage touristique à ce moment et a partagé l’expérience d’Anaïs Llobet. Tout au long du livre, j’ai retrouvé beaucoup de son témoignage – oui, elle s’en est également sortie – mais surtout cette formidable tension que de tels événements engendrent et combien ils finissent par modifier la perception que l’on pouvait alors avoir de la vie, de la façon dont on gère son quotidien. Car c’est bien là le vrai sujet de ce livre, au-delà de l’émotion, des images fortes et du bilan très lourd : sept mille personnes tuées, des milliers de blessés, des dizaines de milliers d’habitants ayant tout perdu et un avenir des plus incertains. Anaïs Llobet a aujourd’hui la distance nécessaire pour éviter les pièges du sensationnalisme ou plus exactement pour nous plonger dans le dilemme de Madel, la journaliste de télévision touchée jusqu’au cœur par ce drame avec, entre autres, la perte de son mari et d’un enfant qu’on lui avait confié, et d’autre part les demandes de sa chaîne de filmer l’horreur, de faire pleurer dans les chaumières. Car toutes les télévisions n’ont pas cette «chance» d’avoir un reporter d’images sur place et de pouvoir montrer Yolanda, «le typhon le plus puissant ayant jamais touché terre», d’offrir des témoignages de première main, de plonger au cœur du drame. «Pas d’eau, rien à manger, mais du wifi : bienvenue à l’ère moderne des catastrophes.» À Tacloban, où les vagues successives ont quasiment tout rasé, Madel va se plonger dans le travail comme dans une thérapie. Elle essaie de faire passer sa douleur au second rang, elle tente de partager son malheur avec les autres victimes pour se persuader qu’elle n’est pas la plus malheureuse. Sans oublier l’enquête sur les mesures de prévention, sur la mauvaise évaluation, sur la désorganisation des secours, sur l’administration des morts, sur l’efficacité des secours et le travail de déblaiement et de reconstruction. Sur le temps qui passe et qui est censé refermer les plaies. Voilà la grande force du roman : il dépasse le cadre du reportage pour décortiquer les états d’âme, pour nous expliquer combien il est difficile de ne pas sombrer dans le voyeurisme et, à l’opposé, combien les fantômes de Tacloban continuent de hanter les nuits de Madel.

 

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