« La littérature, ce n’est pas mettre des mots bout-à-bout pour « traiter un thème », c’est inventer avec des mots un rythme capable de créer, chez le lecteur, une atmosphère singulière qui imprègnera tout ce que ces mots évoquent. »
—
Judicieusement sous-titré « Petit manuel à l’usage des grandes personnes », ce livre est une pépite dont je ne saurais trop recommander la lecture, mais attention, il déclenche de furieuses envies d’achats (vous êtes prévenus).
Cécile Boulaire, maître de conférence spécialisée en littérature pour la jeunesse, nous offre avec ce « manuel » de nombreux codes pour accéder à la richesse des albums jeunesse.
Dès les premières pages introductives – d’ailleurs, dès la première phrase : « Faut-il encore convaincre que, pour élever un enfant, l’album est un allié merveilleux ? », elle pointe du doigt un phénomène que je connais bien :
« Choisir un album, ce serait facile ? A priori, choisir un album, ça n’est pas très difficile : le texte se lit très rapidement. Quant aux images, si elles ont été conçues pour des enfants, alors un adulte n’en fera qu’une bouchée ! Pourtant, nous avons tous l’expérience de quelques ratages, de quelques incompréhensions. Ce livre, soigneusement choisi pour notre nièce parce qu’il était à la fois mignon et éducatif, mais qu’elle a posé dans un coin de sa chambre sans jamais y revenir. Cet album étrange, hermétique et un peu moche à nos yeux, que les enfants ont pourtant réclamé chaque soir pendant des mois, et qui semblait les plonger dans un intense ravissement. Ces artistes au style illisible pour nous, aux images qui nous semblent agressives, aux histoires bizarres, qui sont pourtant primés chaque année lors des grandes foires du livre pour la jeunesse. Ces expériences vous semblent familières ? Alors vous êtes déjà convaincus que juger un album n’est pas si simple, qu’il y a dans cette activité quelque chose qui résiste, bien loin de l’évidence. »
Mais tellement ! J’en ai plusieurs, des albums comme ça, que j’ai lus et relus en me demandant tout à fait sérieusement si je voulais être celle qui introduirait ceci ou cela dans la vie de mes petits-enfants, avant de reculer devant cette responsabilité, le plus souvent parce que je ne comprenais tout simplement pas l’album.
Grâce à Cécile Boulaire, j’ai au moins des pistes, tangibles, nombreuses, pour me guider. Après un petit peu d’histoire des albums jeunesse (j’ai retenu l’année 1931 avec la création des albums du Père Castor et la naissance de Babar par le peintre Jean de Brunhoff et ses inventions géniales de mise en page, puis 1949 et la production de masse pour les masses), on passe en revue tous les aspects des albums (format, technique, couleur, trait, image, relation texte-image, oralité, personnages, j’en passe) avec à chaque fois de nombreux exemples.
C’est passionnant, vivant, intéressant, instructif, concret, ça aide et ça donne envie, ça donne vraiment vraiment envie. Et de toute manière, quiconque se penche un tout petit peu vers le monde des albums jeunesse a ensuite envie de continuer, et c’est tant mieux car :
« Seule une fréquentation longue et abondante des albums vous permettra, progressivement, de repérer les albums vraiment neufs et originaux, et de les distinguer des productions plus conventionnelles et des imitations. Mais est-ce si important ? Souvenons-nous que pour l’enfant, tout album nouveau est un album neuf : qu’il ait été écrit dans les années 40 ou le mois dernier. Ne nous soucions donc pas de créer « la » bibliothèque idéale, celle qui contiendrait *tous* et *rien que* les classiques et chefs-d’œuvre. Essayons plutôt d’entendre le « battement » singulier de l’album que nos enfants plébiscitent, de celui que les élèves de la classe ressortent toujours du bac à livres, de celui que les enfants de la colo ont extrait de la bibliothèque pour l’emporter dans les tentes. Puisque les enfants sont bons juges, écoutons sonner les textes lorsque nous les leur lisons à voix haute. Regardons les images avec eux, ou à leur rythme, à l’affût de tous les détails narratifs que seule l’illustration a disposés dans le livre. Observons s’ils ont choisi un tout petit livre, ou un album géant, s’ils prennent un temps infini à glisser leurs doigts dans les petits orifices ménagés dans les pages, s’ils restent des heures à tourner les pages transparentes. Devenons nous-mêmes attentifs à ce qui fait la manière créative de l’album. »
—
« Il est possible que notre responsabilité éducative ne consiste pas à choisir, pour nos enfants, nos lecteurs ou nos élèves , les « bons » messages des « bons » livres. Il est possible qu’elle réside dans notre capacité à leur proposer de nombreux livres, dont nous nous serons assurés qu’ils sont riches et élaborés, et que nous livrerons à leur appréciation, même si nous-mêmes, parfois, ne sommes pas tout à fait certains d’en avoir « tout compris » : restons modestes… »