Louis Soutter, probablement
Michel Layaz

ZOE EDITIONS
août 2016
240 p.  17,50 €
ebook avec DRM 10,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

S’échapper par la peinture…

Lors d’une visite de Toulouse, je suis entrée dans une librairie extraordinaire, une vraie institution : la librairie Ombres blanches. On y trouve tout ou à peu près tout ! C’est vraiment impressionnant ! Comme à mon habitude, je suis allée à la rencontre d’un libraire et lui ai demandé quels étaient ses derniers coups de coeur. Généralement, à cette question, quand le libraire hésite, cherche, regarde ses piles d’un air un peu perdu comme si rien ne lui venait à l’esprit, je me dis que ce n’est pas la passion qui le gouverne et je laisse tomber.
Là, ce ne fut vraiment pas le cas : le libraire s’est dirigé immédiatement vers un livre en me demandant : « Connaissez-vous Louis Soutter, probablement de Michel Layaz ? », « Ni l’un, ni l’autre » ai-je répondu et là, j’ai vu son visage s’animer et il a commencé à me parler du livre.
Et ce livre, je l’ai vraiment beaucoup, beaucoup aimé non seulement parce que j’ai découvert un écrivain mais aussi parce que j’ai rencontré, oui vraiment rencontré un peintre dont l’oeuvre m’a fascinée.
Qui est Louis Soutter ? Peut-être, le connaissez-vous ? Franchement, je n’en avais jamais entendu parler. Et pourtant, quelle force, quelle expressivité, quel modernisme dans son œuvre ! C’est incroyable !
Louis Soutter est né en 1871 à Morges, en Suisse  dans une famille bourgeoise : son père est pharmacien et sa mère, assez distante et froide, enseigne le chant et le piano. Après s’être lancé dans des études d’ingénieur et d’architecte, il décide d’étudier le violon au Conservatoire royal de Bruxelles auprès d’Eugène Ysaÿe. Il rencontre une violoniste et cantatrice américaine Madge Fursman. Laissant des études de musique inachevées, il revient en Suisse et se met à travailler la peinture à Lausanne, à Genève puis à Paris.
Finalement, il décide de partir vivre avec Madge à Colorado Springs aux États-Unis et l’épouse en 1897. Il devient directeur du département des Beaux-Arts de Colorado Springs, donne des cours de dessin, de peinture et de musique : « Je veux que tu deviennes illustre, disait Madge, je veux que nos amis nous envient, je veux que mes parents t’adorent, je veux que le département des Beaux-Arts étincelle, je veux que les étudiants t’admirent, je veux que les habitants de Colorado Springs nous reconnaissent dans la rue, je veux avoir des enfants de toi… »
Quel avenir brillant se prépare !…
Mais, rien de tout cela n’aura lieu : l’état général de Louis se dégrade, une espèce de mélancolie profonde et tenace s’empare de lui et il préfère rentrer en Suisse et divorcer : « Seul Louis se demandait où il était, devait errer comme un enfant abandonné. Ce désert, il le traversait une coupe à la main, s’arrêtait près d’une personne ou d’une autre, avait la sensation de sauter d’un vide vers un autre vide. »
Commence alors une vie d’errance : son frère devenu pharmacien va l’aider à vivre, financièrement parlant, mais Louis a des goûts de luxe et dépense sans compter : en effet, il aime les beaux hôtels, les grands restaurants, les vêtements élégants, les femmes raffinées. Il achète gilets de flanelle, chemises en soie, épingles de cravate, montres à gousset… Sa famille commence à pester contre ses frasques incessantes mais que faire ?
Louis parvient tout de même à intégrer différents orchestres et non des moindres : il devient premier violon dans l’Orchestre du Théâtre de Genève puis à l’Orchestre symphonique de Lausanne. Mais parfois, au beau milieu d’un morceau, il s’arrête de jouer et pense… ce qui n’est pas forcément apprécié ! Il travaille ensuite dans différents petits orchestres puis dans des cinémas et enfin, dans un hôtel. Quelle chute vertigineuse !
Ses goûts dispendieux obligent finalement sa famille à le placer sous tutelle.
Il va se reposer dans un premier temps à la clinique Sonnenfels de Spiez, puis dans le Gros – de -Vau à la Maison de santé d’Eclagnens. Finalement, il est interné à l’asile de vieillards de Ballaigues, véritable hospice où il entre au printemps 1923. Il n’a que 52 ans. Et dans ce mouroir, il restera… 19 ans, étroitement surveillé par Mademoiselle Tobler.
Heureusement, Louis est autorisé à sortir et à marcher des heures dans une nature qui l’enchante, le comble, l’enivre, le maintient en vie. Il donne encore quelques cours de violon mais surtout, il dessine, peint, remplit inlassablement des petits cahiers d’écolier, de grandes feuilles blanches, des livres dont il orne les pages. « D’une main tâtonnante, il saisit un crayon. Les yeux écarquillés sur la surface fertile de la feuille, il traça, comme un geste originel, les premiers traits, ceux-là mêmes qui seront suivis par des millions d’autres, capables à l’infini de se renouveler, de contrer la cruauté de son destin. Nul besoin de réfléchir ou d’avoir conscience de quoi que ce soit, Louis laissa sa main interpréter ce que la feuille contenait en elle. Lui, le reclus, l’exclu, allait libérer les formes tapies là, les entraîner dans des compositions grouillantes, des cohortes d’aubes et de crépuscules, et dans le même temps, il allait se débarrasser de ses craintes, douleurs, tortures, secrets intimes et désirs bannis accumulés depuis tant d’années. »
Il donne généreusement ses dessins à des gens qui s’empressent de s’en débarrasser en les jetant au feu ou bien, il les perd…
Je ne vous en dirai pas plus afin de vous laisser découvrir un homme extraordinaire et je ne vous dis rien non plus au sujet des gens qui vont contribuer à faire connaître son œuvre. Suspense…
Ce qui est extraordinaire dans ce récit biographique, c’est la façon géniale dont l’auteur, Michel Layaz, donne vraiment VIE à Louis Soutter : vous avez l’impression de voir le monde du point de vue du peintre, vous découvrez une âme sensible, tourmentée, ses terreurs, ses souffrances, ses joies immenses dans la nature, vous l’observez déambuler ici ou là, vrai dandy désespéré au chapeau melon, aux yeux noirs, aux joues creuses et à la maigreur absolue… un homme que l’on surnommait ironiquement l’Anglais et qui ressemblait aux silhouettes tordues et bondissantes de ses dessins.
L’écriture subtile de Michel Layaz, tout en nuances et en retenue , en délicatesse et en poésie, restitue l’homme dans toute son intimité, met en évidence son moi profond, sa vie intérieure perturbée, sa très grande sensibilité.
Exercice périlleux que Michel Layaz réussit haut la main !
Une rencontre passionnante que vous ne serez pas près d’oublier !

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